C.N.R.S.
 

DÉRom en anglais
 
Dictionnaire Étymologique Roman
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*/ˈkad‑e‑/ v.intr. « être entraîné à terre »

I. Flexion en */ˈ‑e‑/
*/ˈkad‑e‑re/ > istriot. cài v.intr. « être entraîné à terre, tomber » (DeanovićIstria 112 s.v. kaj ; DallaZoncaDignanese s.v. càgi ; PellizzerRovigno s.v. cài ; cf. DeanovićIstria 35), lig. [ˈkaze]1, lomb. orient. cadre, vén. ˹caçer˺, tosc. cadere, apul. [kad], salent. sept. [ˈkkaːdəri], cal. cadere, sic. cádiri (tous LEI 9, 410-414 ; cf. aussi Salvioni,RDR 4, 224)2, occit. ˹caire˺/˹chaire˺ (dp. 1259/1285 [cayre], COM2 ; Levy ; FEW 2, 24b [occit. orient.] ; ALF 1311 [prov.] ; ALP 134)3, cászer (fin 12e/déb. 13e s., Levy)4, gasc. ˹càde˺ (dp. 1ère m. 14e s. [cader], LespyRécits 2, 28 ; DAG n° 106 ; FEW 2, 24b ; CorominesAran 179 ; ALF 1311), cat. caure (dp. ca 1400, DECat 2, 642 ; MollSuplement n° 611 ; DCVB ; ALPI 31).

II. Flexion en */‑ˈe‑/
*/kaˈd‑e‑re/ > dacoroum. cădea v.intr. « tomber » (dp. 1500/1510 [date du ms.], Psalt. Hur.2 87 ; Tiktin3 ; EWRS ; Candrea-Densusianu n° 207 ; DA ; Cioranescu n° 1262 ; MDA ; ALR II/I 95), istroroum. cadę́ (MaiorescuIstria 112 [cădè] ; Byhan,JIRS 6, 235 ; FrăţilăIstroromân 1, 120 ; ALR II/I 95), méglénoroum. cădeari (Candrea,GrS 3, 194 ; CapidanDicţionar s.v. cad ; AtanasovMeglenoromâna 232, 283 ; ALR II/I 95 ; WildSprachatlas 478), aroum. cad (dp. ca 1760 [κάτᾳ], Kristophson,ZBalk 10/1 n° 0606 ; KavalliotisProtopeiria n° 0054 ; Pascu 1, 59 s.v. cădeare ; DDA2 ; BaraAroumain ; ALR II/I 95)5, végl. kadár (BartoliDalmatico 313, 439 § 453, 481 ; MihăescuRomanité 102)6, it. cadere (dp. 2e m. 12e s. [amarch. cande prét. 3]7, Camboni in TLIO ; DELI2 ; LEI 9, 429 ; AIS 220 [lomb. vén. tosc. apul. salent. sic.])8, frioul. cjadê (dp. ca 1400 [chadut part. p.], DAroncoAntologia 57 ; Faré n° 1451 ; Crevatin in DESF ; GDBTF ; ASLEF 14 n° 49, 56, 942 n° 4537, 968 n° 5081)9, fr. choir (dp. ca 1040 [chiet prés. 3], TLF ; Gdf ; GdfC ; FEW 2, 24ab ; TL ; AND2 s.v. chair ; ALF 1311)10, frpr. ˹tsái˺ (dp. 1ère m. 13e s. [cheir], SommeCode 104 ; FEW 2, 24ab ; HafnerGrundzüge 68 ; Marzys in GPSR 3, 604-609 ; ALF 1311 ; ALJA 133)11, aoccit. cazer/chazer (ca 1150/1180 [chazer <: saber>, var. <: plazer>], BernVentA 145 = Raynouard ; ca 1169/1228 [cazer <: ser>], AppelChrestomathie 14 ; 1225/1245 [chazer : “de la segonda conjugaço”], DonPrM 171 ; ca 1288/1289 [cazer <: caber>], Levy)12, acat. ˹cader˺ (ca 1200 [cader] – fin 14e s./15e s. [caer], BofarullDocumentos 94 = DECat 2, 643), esp. caer (dp. mil. 10e s. [kaderát fut. 3], DCECH 1, 734 ; MenéndezPidalCid 1, 178 ; 2, 522 ; Kasten/Cody ; DME ; ALPI 31)13, ast. cayer (dp. 1145 [ms. 1295], DELLAMs ; DGLA ; ALPI 31), gal./aport. caer (dp. 1250 [caer subj. fut. 3], TMILG ; DDGM ; Buschmann ; DRAG1 ; ViterboElucidário2 ; Houaiss ; CunhaVocabulário2 ; BoaventuraInéditos 1, 22 = DELP3 ; ALPI 31 ; ALGa 1, 160)14.

Commentaire. – À l’exception du sarde, du ladin et du romanche15, toutes les branches romanes présentent des cognats conduisant à reconstruire, soit directement, soit à travers un type morphologique évolué, protorom. */ˈkad‑e‑/ v.intr. « être entraîné à terre, tomber ».
Les issues romanes ont été subdivisées ci-dessus selon les deux classes de flexion dont elles relèvent : flexion en */ˈ‑e‑/ (inf. */ˈkad‑e‑re/) et flexion en */‑ˈe‑/ (inf. */kaˈd‑e‑re/)1617. Le premier type morphologique et accentuel (ci-dessus I.), minoritaire, ne se trouve qu’en istriote, dans des îlots des dialectes italiens septentrionaux, centraux et surtout méridionaux, en occitan18, en gascon et en catalan. Le second type morphologique (ci-dessus II.) couvre au contraire, du moins au Moyen Âge, quasiment l’ensemble de l’espace occupé par le type lexical. Cette répartition spatiale suggère que I. est un type morphologique récessif, qui s’est maintenu dans des zones de recul correspondant aux domaines linguistiques les plus anciennement latinisés (cf. Raupach,LRL 2/1, 5-19 [et surtout 8, carte 1]), et qu’il constitue par conséquent la strate la plus ancienne, tandis que le type morphologique II., aréologiquement extensif, relève d’une innovation plus récente du protoroman.
Le même changement de classe flexionnelle de la conjugaison en */ˈ‑e‑/ à celle en */‑ˈe‑/ ne s’observe qu’exceptionnellement à une aussi large échelle, à savoir dans deux autres lexèmes verbaux qui se signalent par leur haute fréquence : */ˈkap‑e‑/ « prendre » et */ˈsap‑e‑/ « savoir »19.
Dans plusieurs domaines linguistiques, des compétiteurs sont venus concurrencer, et dans certains cas évincer, les représentants de protorom. */ˈkad‑e‑/ « tomber », que l’on suppose originellement (quasi) panprotoroman (à l’exclusion sans doute du protoroman régional de Sardaigne) : protorom. */ˈrʊ‑e‑/ (> sard. rúere v.intr. « id. », DES), */korˈrɔt‑a‑/ (> notamment romanche, cf. von Wartburg in FEW 2, 1227b-1228b, *corrŏtare et ci-dessous n. 8) et */ˈtʊmb‑a‑/ (> surtout lad. tomè v.intr. « id. » [Kramer/Fiacre in EWD], français, francoprovençal, occitan et gascon [von Wartburg in FEW 13/2, 404a-406b, tumb- I 2]), dont le sens originel est « faire la culbute »20.
Les données du latin écrit sont cohérentes avec la chronologie postulée. Le corrélat cadere v.intr. « id. » du type flexionnel I. est connu durant toute l’Antiquité (dp. Ennius [* 239 – † 169], TLL 3, 16). Quant au second type flexionnel, son corrélat (cadēre) n’est attesté en latin écrit que dans l’Antiquité tardive (cadebit [4e s.] ; cadeat [ca 400] ; TLL 3, 16 ; StotzHandbuch 4, 186).

Bibliographie. – Gröber,ALL 1, 539 ; MeyerLübkeGRS 1, § 69-70, 223, 306-307, 332, 405, 409, 413, 443 ; REW3 s.v. cadĕre/*cadēre ; Ernout/Meillet4 s.v. cadō ; von Wartburg 1936 in FEW 2, 24a-31a, cadĕre ; LausbergSprachwissenschaft 1, § 150, 173-175 ; 2, § 314-318, 375-377 ; 3, § 790 ; HallPhonology 72 ; Faré n° 1451 ; Malkiel,LatVulg 1, 167-179 ; SalaVocabularul 542 ; StefenelliSchicksal 226-227 ; MihăescuRomanité 223 ; DOLR 3 (1993), 117-118 ; Urso/Cornagliotti/Hohnerlein 2004 in LEI 9, 408-498, cadĕre/cadēre.

Signatures. – Rédaction : Éva Buchi. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Jean-Pierre Chambon ; Pierre Swiggers. Romania du Sud-Est : Petar Atanasov ; Victor Celac ; Wolfgang Dahmen ; Cristina Florescu. Italoromania : Giorgio Cadorini ; Marco Maggiore ; Max Pfister. Galloromania : Jean-Paul Chauveau. Ibéroromania : Maria Reina Bastardas i Rufat ; Myriam Benarroch ; Ana Boullón. Révision finale : Wolfgang Schweickard. – Contributions ponctuelles : Rosario Coluccia ; Jérémie Delorme ; Xosé Lluis García Arias ; Yan Greub ; Maria Iliescu ; Jean Lafitte ; Lorenzo Renzi ; Michela Russo ; Thomas Städtler ; Monika Tausend ; Heinz Jürgen Wolf.

Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 08/08/2008. Version actuelle : 28/03/2020.

 


1. Les cognats ligurien et vénitien manifestent une extension à l’infinitif (et probablement à toute la conjugaison) de la racine thématique [ˈkaz-] de la première personne du présent (< */ˈkadi‑o/, reconstruit sur la base d’ait. caggio, aitsept. caço, salent. cašu, cal./sic. caju, cf. Fanciullo,AGI 83, 223-224).
2. Nous avons neutralisé la distinction pratiquée par le LEI entre « tomber » (sans complément circonstanciel) et « tomber quelque part » (avec complément circonstanciel). Cf. aussi roum. a se cădea v.pron. « convenir » (dp. 1563/1583, DA), qui présente une construction syntaxique évolutive.
3. Pour ce qui est des deux attestations que le DAO n° 127 lemmatise en caire, elles représentent chai prés. 3, forme flexionnelle qui pourrait relever autant de l’un que de l’autre de deux types flexionnels.
4. On relève la forme ˹c(h)a(z)er˺ de ca 1150/1180 (ci-dessous II.) à ca 1441 (DAG n° 106 [cazer « s’abattre (tempête) »] ; cf. aussi BrunelChartes 129, 267 ; Pansier 3 ; FEW 2, 24b ; AppelChrestomathie 203), mais la plupart du temps, l’accentuation est indécidable, de sorte qu’il peut s’agir aussi bien du type flexionnel I. que II. Nous avons donc choisi de mentionner ci-dessus sous I. et ci-dessous sous II. seulement les attestations que la métrique, la rime ou une indication métalinguistique permettent d’attribuer à l’un ou à l’autre type.
5. L’aroumain ne connaît presque plus l’infinitif verbal (cf. Saramandu,Tratat 460 ; Kramer,LRL 3, 429-430) ; la forme citationnelle est la première personne du singulier du présent. Cette dernière ne permet pas d’attribuer le cognat à un type flexionnel donné, mais l’infinitif cădeáre (cf. l’entrée de Pascu citée ci-dessus) témoigne de l’appartenance du verbe à la flexion en */‑ˈe‑/.
6. Nous ne suivons pas ElmendorfVeglia, qui considère (sans avancer d’argument) végl. kadár comme un italianisme. Le développement phonétique est régulier, cf. BartoliDalmatico 419 § 379 (avec des parallèles comme sūdāriolu > sedarul, même si l’hypothèse d’un emprunt est évoquée) et 447.
7. PoetiDuecentoContini 1, 25 précise : “da interpretare naturalmente « cadde » (e da mettere in rapporto col fatto inverso, muddanii per mund-)”.
8. Malgré REW3 s.v. cadĕre/*cadēre, on ne rattachera pas ici log. kaizzu s.m. « abattoir », qui représente un hispanisme sans rapport avec notre famille lexicale (cf. DES s.v. karnittséri ; PittauDizionario 1 s.v. caítza). Pour ce qui est de sard. kaíri, que DOLR 3, 117 considère comme héréditaire, il s’agit d’un emprunt à l’espagnol ou à l’italien (DES s.v. kaíri ; PittauDizionario 1 s.v. caíri).
9. Malgré DOLR 3, 117, romanch. crodar/cruder/curdar v.intr. « id. » n’est pas à rattacher ici, mais à protorom. */korˈrɔt‑a‑/ (Decurtins in DRG 4, 267 ; HWR). Pour ce qui est de romanch. cader v.intr. « avoir lieu », il s’agit d’un emprunt à l’italien (Schorta in DRG 3, 5).
10. Nous ne retenons pas l’attestation de ca 1000 (SLégerA 231 [cadit prét. 3] = TLF), l’appartenance linguistique de la Vie de saint Léger étant discutée (cf. DEAFBiblEl s.v. SLégerA). Par ailleurs, fr. choir est défectif à partir du 16e siècle (FEW 2, 29b) ; il a été évincé du français standardisé oral (sauf dans laisser choir) par tomber (von Wartburg in FEW 13/2, 408a-409a, tumb-).
11. “Le type tsại remonte à bas-lat. cadēre […]. Tsạire, etc., a été assimilé aux verbes en -re, tels que boire, faire, lire” (Marzys in GPSR 3, 608).
12. Cf. ci-dessus n. 4.
13. Les issues espagnoles, asturiennes, galiciennes et portugaises des verbes appartenant à la flexion en */ˈ‑e‑/ du protoroman ont subi régulièrement une réaffectation à celle en */‑ˈe‑/ ou en */‑ˈi‑/ (cf. MeyerLübkeGLR 2, § 119, 126 ; WilliamsPortuguese § 148 ; LloydLatin 451-455). De ce fait, les issues de ces idiomes ne peuvent pas être attribués avec certitude à l’un des deux types ici distingués. Si nous les avons classés sous II., c’est pour réserver la section I. aux continuateurs assurés du type récessif.
14. Les attestations de 1006 et de 1152 citées par DELP3 proviennent de textes latins. – En portugais, cette issue régulière a été évincée par cair (dp. 1364 [cajr], CunhaÍndice ; CunhaVocabulário2 ; Houaiss ; DELP3 ; ALPI 31). Le changement de conjugaison -er > -ir, que le portugais partage avec le galicien (cair, dp. 1259 [queir ; variante minoritaire], DDGM), ne remonte pas au-delà de l’époque médiévale (WilliamsPortuguese § 148 ; PielEstudos 216 ; Malkiel,RomQuart 33, 5-10 ; cf. aussi FerreiroGramática 1, 316 n. 406).
15. Cf. n. 8 et 9 et le commentaire ci-dessus.
16. Nous ne suivons donc pas DensusianuHistoire 1, 148, qui estime que les lexèmes du type I. “sont probablement des formations analogiques récentes, de sorte qu’on peut placer *cadēre à la base de toutes les formes romanes”, ni Meyer-Lübke in REW3, qui fait implicitement la même analyse.
17. Les parlers romans présentent aussi çà et là des issues de */ˈkad‑e‑/ relevant de la conjugaison en */‑ˈi‑/ (cf. LEI 9, 481-486, 497), qui ne semble toutefois pas remonter au protoroman (cf. RohlfsGrammStor 2, § 616). En tout état de cause, parmi les items cités LEI 9, 497, aocc. quaira fut. 3 (BoeciS) et caira (FlamG ; CroisAlbM) ne permettent pas de poser un *caír, mais se rattachent aux types flexionnels I. et II. ci-dessus ; adauph. cheir (SommeCode 104) est l’ancêtre de frpr. ˹tsái˺ (ci-dessus II. et n. 10) ; pic. caïr doit être interprété comme une réfection analogique (GossenGrammaire 67-68) ; cf. encore n. 8 et 14.
18. Cette répartition géographique nous semble faire système (cf. ci-dessus). Nous excluons donc l’hypothèse de Coromines (in DECat 2, 643), selon laquelle occit. caire serait d’origine analogique et que “essent més tardà potser és casual la coincidència amb l’accentuació clàssica cadĕre”.
19. Cf. MeyerLübkeGRS 2, § 126 ; REW3 s.v. capĕre ; sapĕre/*sapēre ; von Wartburg in FEW 2, 247a ; 11, 198b.
20. Dans les variétés populaires et dialectales du dacoroumain, a cădea est concurrencé par a pica, dont le sens originel est « couler goutte à goutte » (cf. DLR ; Tiktin3 ; REW3 s.v. *pīkk-).

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