C.N.R.S.
 

DÉRom en anglais
 
Dictionnaire Étymologique Roman
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*/ˈmostr‑a‑/ ~ */ˈmoss‑a‑/ v.ditr. « faire voir (qch.) (à qn) »

I. Type */ˈmostr‑a‑/
*/mosˈtr‑a‑re/ > sard. mostrare v.ditr. « faire voir (qch.) (à qn), montrer » (dp. 14e s., DES ; PittauDizionario 1 ; Spano1 ; AIS 1663), dacoroum. mustra tr. « blâmer (qn) avec autorité, réprimander » (dp. 1581, Tiktin3 ; EWRS ; Candrea-Densusianu n° 1188 ; DLR ; Cioranescu n° 5537 ; MihăescuRomanité 238)1, végl. mostrúr ditr. « montrer » (BartoliDalmatico 221 § 2 [mostrúa prés. 3]), istriot. mustrá (DeanovićIstria 114 ; MihăescuRomanité 525 ; AIS 1663), it. mostrare (dp. 963 [monstrai prét. 1], DELI2 ; GDLI ; Faré n° 5665 ; Merlo,RIL 85, 45 ; AIS 1663), frioul. mostrâ (PironaN2 ; GDBTF ; AIS 1663 ; ALD-I 483), lad. mostrè (dp. 1763, Kramer/Thybussek in EWD ; AIS 1663 ; ALD-I 483), afr. mostrer (2e qu. 10e s. [mostret part. p.] – 1465, TLF ; FEW 6/3, 94b ; Gdf ; GdfC ; TL ; DMF2012 ; ALF 1637)2, frpr. ˹motrā˺ (dp. 1ère m. 13e s. [mostrar], SommeCode 14 ; FEW 6/3, 94b ; HafnerGrundzüge 19 ; ALF 1637 p 977)3, occit. mostrar (dp. 1188 [mostres subj. impf. 3], BrunelChartesSuppl 128 ; Raynouard ; Levy ; AppelChrestomathie 25 ; FEW 6/3, 94b ; ALF 1637), gasc. moustrà (dp. 1179 [mostra prés. 3], BrunelChartes 161 ; Palay [“vieux”] ; ALF 1637), cat. mostrar (dp. 1036/1079, DECat 5, 814 ; MollSuplement n° 2271 ; DCVB), esp. mostrar (dp. ca 1140, DCECH 4, 164-165 ; DME ; CORDE ; DRAE22), ast. mostrar (DELLAMs [“rare”]), gal./port. mostrar (dp. 1220, TMILG ; DELP3 ; Houaiss ; CunhaVocabulário2).

II. Type */ˈmoss‑a‑/
*/mosˈs‑a‑re/ > it. sept. ˹mussar˺ v.ditr. « montrer » (LSI s.v. mossá [lomb.] ; ALD-I 483 [trent.]), fasc. moscèr (Mazzel5 ; ALD-I 483 p 97-101), romanch. mussar (HWR ; AIS 1663 ; ALD-I 483), esp. mossar (dp. 14e s., DCECH 4, 165 [“variante más rara”]), ast. amosar (AriasPropuestes 2, 482 ; DGLA ; DELLAMs)4, gal. amosar (dp. 1792/1797, DdD ; DRAG1).

Commentaire. – Toutes les branches romanes présentent des cognats conduisant à reconstruire protorom. */ˈmostr‑a‑/ ~ */ˈmoss‑a‑/ v.ditr. « faire voir (qch.) (à qn), montrer »56.
Le reconstruction aboutit à deux types phonologiques : */ˈmostr‑a‑/ (pour l’ensemble des branches romanes sauf le romanche, ci-dessus I.) et */ˈmoss‑a‑/ (pour deux aires discontinues : it. lad. romanch. et esp. ast. gal., ci-dessus II.). Le type */ˈmoss‑a‑/ se reconstruit à partir des cognats romans qui ne présentent pas l’évolution régulière du groupe */-str-/ (qui est conservé en position prétonique, cf. HallPhonology 46, 160 ; WilliamsPortuguese § 85), mais des formes de réduction qui ont éliminé, à travers un développement qui a vu d’abord la simplification du groupe */-str-/ en */-sr-/, puis une assimilation, à la fois */t/ et */r/. Du point de vue morphophonologique, l’explication la plus naturelle pour la présence des deux types formels est de supposer une allomorphie dans la flexion du verbe, les formes du type */ˈmostr‑a‑/ alternant avec celles du type */ˈmoss‑a‑/ selon que leur accent porte ou non sur le radical. Cette alternance se retrouve, avec une aire plus grande, qui inclut aussi le français et l’occitan, dans les formes toniques et atones des possessifs */ˈnɔstr‑u/ et */ˈβɔstr‑u/ (cf. LausbergLinguistica 2, § 752)7. Du point de vue diachronique, la présence de cognats reposant sur */-ss-/ dans deux aires compactes, mais éloignées l’une de l’autre, amène à postuler une alternance */-str-/ ~ */-ss-/ déjà pour la protolangue. Nous ne pouvons la postuler avec certitude que pour le protoroman italo-occidental, mais elle a pu appartenir à la phase la plus ancienne du protoroman, avant d’être éliminée par l’influence de l’analogie dans la plus grande partie des idiomes romans, dont le sarde et le roumain. Les données romanes nous permettent de la dater en tout cas à une période où les parlers de la péninsule Ibérique et des Alpes innovaient encore ensemble, c’est-à-dire à une phase assez ancienne du protoroman. Cette datation haute correspond aussi au statut géolinguistique des deux zones en question, les Alpes étant une aire isolée et l’Ibérie une aire latérale8.
Le corrélat exact du latin écrit du type I., mostrare v.tr. « id. », n’est attesté que par un hapax du 6e siècle (Carmina latina epigraphica, TLL 8, 1440), tandis que la variante monstrare est usuelle durant toute l’Antiquité (dp. Plaute [* ca 254 – † 184], TLL 8, 1440). En revanche, le type II. ne connaît pas de corrélat en latin écrit de l’Antiquité9.
Du point de vue diasystémique (latin global), protorom. */ˈmostr‑a‑/ ~ */ˈmoss‑a‑/ est donc à considérer comme un particularisme (oralisme) de la variété B qui n’a quasiment pas eu accès à la variété H (et donc à l’écrit), tandis que cette dernière est la seule à connaître la variante monstrare (cf. néanmoins n. 5).

Bibliographie. – MeyerLübkeGLR 1, § 221-223, 353, 404, 468 ; 2, § 117 ; REW3 s.v. mō(n)strāre ; Müller 1966 in FEW 6/3, 94b-99b, mōnstrare ; Ernout/Meillet4 s.v. mōnstrum ; LausbergLinguistica 1, § 253, 299, 424-426 ; SalaVocabularul 606 ; MihăescuRomanité 151, 238 ; DOLR 2 (1992), 16 ; 3 (1993), 112 ; StefenelliSchicksal 18.

Signatures. – Rédaction : Paul Videsott. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Jean-Pierre Chambon. Romania du Sud-Est : Victor Celac ; Nikola Vuletić. Italoromania : Maria Iliescu. Galloromania : Jean-Paul Chauveau. Ibéroromania : Ana Boullón ; Ana María Cano González. Révision finale : Éva Buchi. – Contributions ponctuelles : Pascale Baudinot ; Myriam Benarroch ; Coraly Fleury ; Xosé Lluis García Arias ; Xavier Gouvert ; Yan Greub ; Günter Holtus ; Johannes Kramer ; Lorraine Mathieu ; Bianca Mertens ; Jan Reinhardt ; Fernando Sánchez Miret ; Agata Šega ; Matthieu Segui.

Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 07/07/2016. Version actuelle : 02/07/2020.

 


1. Le dacoroumain présente une évolution sémantique idioromane, qui s’explique par les stades « montrer » > « montrer des fautes » > « réprimander » (cf. ŞăineanuIncercare 183 et les parallèles it. rimostrare v.intr. « faire des remontrances » [dp. 1548, DELI2, GDLI], fr. remontrer ditr. « faire des remontrances (à qn) (au sujet de qch.), reprocher » [dp. 1490, FEW 6/3, 97b]).
2. Nous suivons Meyer-Lübke in REW3 s.v. mō(n)strāre et Müller in FEW 6/3, 99a pour considérer le vocalisme initial de fr. montrer (attesté à partir du 12e siècle et dominant à partir du 14e siècle) comme le résultat d’une influence secondaire de lat. monstrare.
3. Une grande partie du domaine francoprovençal (cf. ALF 1637) présente des formes avec voyelle nasale, empruntées au français.
4. La forme amosar, usuelle en asturien et en galicien, constitue le résultat d’une préfixation idioromane.
5. Le vocalisme accentué, pour lequel la grande partie des données romanes incitent à reconstruire */o/, pose un problème pour l’espagnol et l’asturien, où les formes rhizotoniques diphtonguées du type muestro semblent demander */ɔ/ (cf. Corominas in DCECH 4, 164-165). Il pourrait s’agir d’une diphtongaison analogique sur le modèle des possessifs */ˈnɔstr‑u/ et */ˈβɔstr‑u/, vu les autres ressemblances dans le développement phonétique de ces lexèmes, ou encore d’une diphtongaison secondaire à partir des formes arhizotoniques du paradigme verbal. À remarquer en outre le passage de */o/ à /u/ dans les formes rhizothoniques du dacoroumain, soit par une extension analogique du développement normal en position atone, soit – hypothèse qui nous paraît moins probable – par le développement de */o/ devant nasale (cf. NandrisPhonétique 36). Dans ce dernier cas, il faudrait supposer qu’à la base de la forme dacoroumaine il y a eu protorom. */ˈmonstr‑a‑/, avec le groupe */ns/ conservé.
6. Dans une zone limitée aux Alpes occidentales, entre le Piémont et les Grisons, les continuateurs de protorom. */ˈmostr‑a‑/ ~ */ˈmoss‑a‑/ présentent aussi un sens abstrait : itsept. mostrare v.ditr. « transmettre (une connaissance) (à qn), enseigner » (AIS 767 [lig. piém.]), mussar (AIS 767 p 27, 45 [lomb.]), romanch. mussar (HWR ; AIS 767 p 3, 29). L’exiguïté de l’aire couverte par ce type sémantique semble indiquer que sa genèse ne remonte pas au protoroman.
7. Cette explication remonte en dernière analyse à DCECH 4, 165 et DELLAMs, bien que les deux ouvrages se limitent à souligner le parallélisme avec les formes en */-ss-/ des possessifs. Elle nous semble plus adaptée à expliquer le phénomène en question que l’explication purement phonétique (de plus limitée aux seuls idiomes qui connaissent une prononciation palatale du continuateur de */-s-/ devant consonne) selon laquelle la prononciation cacuminale du */-r-/ due à */-ʃ-/ précédent aurait produit un groupe */-ʃtʃ-/ simplifié après par l’amuïssement de l’occlusive (explication donnée par ElwertFassa 97, reprise par EWD pour la forme du fascian, et apparemment appliquée par HWR aux formes parallèles du lombard alpin et du dialecte du val Bregaglia).
8. On retrouve la péninsule Ibérique et les Alpes comme deux espaces géolinguistiques innovant ensemble aussi dans d’autres domaines, ainsi pour l’innovation sémantique de */ˈsɛd‑e‑/ « être ».
9. L’attestation <mos>ravit (366/384, TLL 8, 1440) est douteuse.

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