C.N.R.S.
 

DÉRom en anglais
 
Dictionnaire Étymologique Roman
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*/ˈor‑a‑/ v.tr./ditr. « s’adresser (en tant qu’acte de foi) à (un être surnaturel) ; demander l’intervention de (qn) (spécialement d’un être surnaturel) pour (qch.) »

*/oˈr‑a‑re/ > dacoroum. ura v.ditr. « former le vœu que (qch. de bien) arrive (à qn), souhaiter » (dp. 1559/1560 [ură prét. 3], Cod. Brat. 253 ; Tiktin3 ; EWRS s.v. ur(ez) ; Cioranescu n° 9071 ; DLR ; MDA ; ALR II/I 198), aroum. or v.tr./ditr. « s’adresser (en tant qu’acte foi) à (un être surnaturel), prier ; demander l’intervention de (qn) (spécialement d’un être surnaturel) pour (qch.), supplier » (DDA2 ; BaraAroumain)1, it. orare (dp. fin 12e s. [aitcentr. orando gérond.], TLIOCorpus ; DELI2 ; GDLI), romanch. urar (dp. 1560 [urêr], GartnerBifrun 53 ; HWR)2, fr. orer (ca 880 [oram imp. 4] – 1637, HenryChrestomathie 3 ; FEW 7, 385a ; Gdf ; TL ; TLF [“vieux”] ; ANDEl), afrpr. orar v.tr. « prier » (hap. 1220/1230, ProsalegStimm 23 = HafnerGrundzüge 53), aoccit. orar v.tr./ditr. « prier ; supplier » (1ère m. 13e s. – 1390, Raynouard ; Levy ; FEW 7, 385a ; AppelChrestomathie 10 ; Pansier 3), cat. orar (dp. fin 13e s., DCVB ; DECat 6, 85), esp. orar (dp. 1228/1246 [oremos prés. 4], TMILG ; Kasten/Cody ; DCECH 4, 565 ; NTLE ; Kasten/Nitti)3, gal./port. orar (dp. 1214 [orem subj. prés. 3], DDGM ; DRAG2 ; DELP3 ; HouaissGrande ; CunhaVocabulário2).

Commentaire. – Le roumain et un large ensemble d’idiomes de la Romania italo-occidentale (it. romanch. fr. frpr. occit. cat. esp. gal./port.) présentent des cognats conduisant à reconstruire protorom. */ˈor‑a‑/ v.tr./ditr. « s’adresser (en tant qu’acte de foi) à (un être surnaturel), prier ; demander l’intervention de (qn) (spécialement d’un être surnaturel) pour (qch.), supplier ».
La reconstruction d’un étymon bisémique présentant les sens « prier » et « supplier »4 se fonde sur le témoignage quasiment unanime de l’aroumain et des cognats de la Romania italo-occidentale (it. romanch. fr. occit. cat. esp. gal./port.) ; seul le francoprovençal n’atteste pas le sens « supplier ». Quant au sens véhiculé par le cognat dacoroumain, « souhaiter », Fischer,ILR 2, 168 y voit une innovation récente, tandis que pour MihăescuRomanité 53-54 et DensusianuOpere 1, 601, il s’agit d’une évolution sémantique ancienne sur la base de lat. orare « parler solennellement » (cf. ci-dessous). Les données à notre disposition – afr. orer « souhaiter » (ca 1180 – 13e s., FEW 7, 385a ; Gdf), aocc. orar « id. » (déb. 13e s. – 1250/1270, Levy, AppelChrestomathie) et le developpement semantique documenté pour l’albanais (aalb. uroj « prier », MihăescuRomanité 53-54 ; VătăşescuAlbaneză 413) > alb. « souhaiter (du bien) ; féliciter » (IEEDAlbanian) – incitent à analyser le sens « souhaiter » du dacoroumain comme un chaînon d’un vaste réseau métonymique ancien, induit par la diversité des emplois constructionnels.
À côté de */ˈor‑a‑/, le protoroman connaissait d’autres lexèmes signifiant « prier » (ainsi */ˈprek‑a‑/ et */ˈroɡ‑a‑/), qui devaient être dans un rapport de (para-)synonymie avec lui (cf. FEW 7, 385ab)5.
Une grande partie des dictionnaires étymologiques romans considère les données ici réunies comme des latinismes : DELI2 (“voce dotta”), TLF (“empr. au lat.”), DECat 6, 85 (“mot savi”), DCECH 4, 565 (“tomado del lat.”). Mais cette explication n’est valable que pour le sens « parler à un public selon les règles de la rhétorique, haranguer », documenté très tardivement (it. : dp. 2e m. 14e s., GDLI ; fr. : dp. 16e s., FEW 7, 385a ; esp. : dp. 15e s., DME) et réintroduit vraisemblablement par parallélisme avec le substantif ˹oratore˺. Mais la présence du verbe dans les sens « prier » et « invoquer » dans les dialectes italiens anciens (cf. FEW 7, 385b) et les attestations du verbe avec un signifiant rhizotonique présentant la diphtongaison française (eure ind. 3, cf. TL 6, 1244 ; Gdf 5, 628c ; BFM) témoignent de la nature héréditaire de ces deux unités lexico-sémantiques. Cela dit, on peut supposer que l’emploi de lat. orare dans la langue ecclésiastique a contribué à maintenir son usage dans la langue parlée des vernaculaires romans.
Le corrélat du latin écrit, orare, est connu depuis Plaute (* ca 254 – † 184) comme verbe transitif au sens de « prier » (TLL 9/2, 1038 ; FEW 7, 385a ; cf. aussi IEEDLatin) de même que comme verbe ditransitif signifiant « supplier » (TLL 9/2, 1042). Le sémème « prier » s’analyse comme un réemploi contextualisé (dans la langue des chrétiens) du sens plus ancien « parler solennellement », documenté dès la Loi des douze tables (ca 450 av. J.-Ch., cf. TLL 9/2, 1037)6.

Bibliographie. – MeyerLübkeGLR 1, § 222, 353, 455 ; 2, § 117 ; REW3 s.v. ōrāre ; von Wartburg 1954 in FEW 7, 385ab, ōrāre ; Ernout/Meillet4 s.v. ōrō ; LausbergLinguistica 1, § 173-175, 254, 273, 284, 384 ; HallPhonology 46 ; StefenelliSchicksal 44-45, 256 ; MihăescuRomanité 54.

Signatures. – Rédaction : Paul Videsott. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Pierre Swiggers ; Valentin Tomachpolski. Romania du Sud-Est : Victor Celac ; Cristina Florescu ; August Kovačec ; Nikola Vuletić. Italoromania : Giorgio Cadorini ; Maria Iliescu. Galloromania : Jean-Paul Chauveau. Ibéroromania : Maria Reina Bastardas i Rufat ; Myriam Benarroch ; Ana Boullón ; Ana María Cano González. Révision finale : Éva Buchi. – Contributions ponctuelles : Pascale Baudinot ; Xosé Lluis García Arias ; Xavier Gouvert ; Yan Greub ; Laure Grüner ; Günter Holtus ; Marco Maggiore ; Justine Martin ; Bianca Mertens ; Jan Reinhardt ; Fernando Sánchez Miret ; Agata Šega ; Matthieu Segui.

Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 03/09/2018. Version actuelle : 05/11/2021.

 


1. L’aroumain ne connaît presque plus l’infinitif verbal (Saramandu,Tratat 460 ; Kramer,LRL 3, 429-430) ; la forme citationnelle est la première personne du singulier du présent.
2. En revanche, malgré Salvioni,RDR 4, 190 (> Faré n° 6081), surs. urentar « enquêter » ne se rattache pas à */ˈor‑a‑/, mais constitue un dérivé du continuateur romanche de protorom. */aˈɡʊr‑a‑/ avec le suffixe -entare (HWR ; cf. aussi REW3 s.v. ōrāre).
3. Pour ce qui est d’ast. orar (dp. 1918, DELLAMs ; DALlA), il s’agit d’un emprunt à l’espagnol ; le lexème usuel pour « prier » est rezar.
4. La reconstruction sémantique confime l’analyse du REW3 (“« bitten », « beten »”), mais pas celle du FEW (“reden ; bitten”).
5. En italien et en français modernes, de même que dans leurs dialectes, les continuateurs de */ˈor‑a‑/ ont complètement été évincés par ceux de */ˈprek‑a‑/ (cf. AIS 801 ; ALF 404). En catalan, orar a toujours été moins fréquent que pregar et fer oració (DECat 6, 85). En galégo-portugais, orar coexiste depuis les premiers textes avec pregar, rezar et fazer oração, tous trois attestés au 13e siècle (DDGM) et souvent employés dans les mêmes textes comme synonymes.
6. Ernout/Meillet4 donnent comme signifié originel du vocable « prononcer une formule rituelle, une prière, un plaidoyer ». Ils rejettent donc (avec Walde/Hofmann3, TLL et OLD) l’explication avancée par Varron, selon laquelle le verbe serait un dérivé de lat. os s.n. « bouche » ; cette étymologie est en revanche acceptée par FEW 7, 385a et par IEEDLatin.

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