À la suite du FEW 16, 494b, lyr (anord.), le TLF et le DMF, s.v. lieu2, enregistrent une attestation isolée de lief « poisson marin voisin du merlan », relevée dans le fonds Barbier. Barbier a pêché ce substantif dans une série de redevances sur le poisson dues pendant le carême à la prévôté de Nantes : En chacune saine qui pesche par Loire environ Nantes, six deniers tous les dimenches, des l'une foire Nantoyse jucques a l'autre. Es escluses de Loire, des les escluses neufves de Chantenay jucques es escluses neuves d'amont (blanc), les sespmaines de caresme ung lief au Provost, et la prime voire de chacun poisson assavoir est, de lamproye, d'alose et de saulmon. La premiere semaine de caresme, de l'escluse neufve dix soulz chacun an a la Provosté, et de l'escluse de Chantenay trente soulz. La veille de Pasques flories prant le Provost vingt soulz et vingt lamproyes sur les escluses qui doivent le pois et la livre. Le landemain de Pasques flories, prant le Provost sur chacune barge peschante en Loire […] Le mercredi empres, reczoit, le Provost a Nantes autretant de coustumes en chacune barge d'Aindre, de Rezay, de Saint Nicolas, de Richebourg, de Vretays et de Vierse. En tous les vaisseaulx qui viennent a Nantes, o poisson de mer en caresme, le Provost prant le plus bel poisson, excepté ung (avant 1431, " Pancarte des droits perçus par la prévôté de Nantes ", La Nicollière-Teijeiro, Stéphane Praud de, Privilèges accordés par les ducs de Bretagne et les rois de France aux bourgeois, habitants, maires et échevins de la ville de Nantes, Nantes, Société des Bibliophiles bretons, Archives de Bretagne t. 1, 1883, pp. 49-50). L'identification comme la première attestation du nom du lieu (noir ou jaune) est contestable, pour plusieurs raisons : 1) Il est curieux que la première attestation d'un emprunt au norrois se rencontre dans un document médiéval de Bretagne ; 2) La consonne finale de ce substantif est tout à fait inattendue et personne n'a cherché à l'expliquer ; 3) Tant le lieu noir que le lieu jaune, comme tous les gadidés, à la seule exception de la lotte de rivière, sont des poissons de mer. Or dans ce passage, il n'est question que de pêche dans le fleuve, de poissons d'eau douce ou amphibiotiques comme l'alose, la lamproie et le saumon. C'est seulement à la fin de ces redevances de carême qu'est mentionné le poisson de mer, apporté à Nantes par des bateaux remontant la Loire. Au total, ce merlan d'eau douce, au nom de forme bizarre et à la localisation curieuse, est aussi un poisson apparemment inconnu de la classification des espèces vivantes. Il est préférable de chercher une autre identification de ce substantif. Puisque le texte qui l'atteste concerne la perception de redevances sur la pêche, c'est dans ce domaine qu'on devrait en trouver des équivalents. Le comté de Nantes possédait un autre site de pêche en eau douce que la Loire, le Lac de Grandlieu où le lief était en usage : " Le droit de pêche féodal se nommait le droit de lief, parce que les filets et engins se levaient en présence du seigneur, sous son contrôle. Il était plus ou moins long en durée suivant l'importance du seigneur. Le droit de lief du seigneur de Vieillevigne s'exerçait chaque semaine de carême […] (Maître, Léon, Le Lac de Grandlieu et ses affluents. Histoire, pêche, navigation, dessèchement ; Nantes, Dugas, 1912, p. 90). L'archiviste de la Loire-Inférieure en avait repéré plusieurs exemples qu'il cite, malheureusement, de façon peu archivistique : Jean de la Noë, seigneur de la Noë, paroisse de la Chevrolière, déclare en 1392 qu'il tient de la seigneurie des Huguetières les deux parts d'un lief en l'Ognon, une fois par an, sur tous les engins qui y sont mis pour prendre poisson dès le Pont-Saint-Martin jusque à la Lambredière, venant à Trejet (ibid. p. 91) / Les pêcheurs en possession d'écluses et d'encrolages dans l'Ognon étaient tenus, une fois l'an, de tendre leurs retz, encros, écluses et engins incontinent que les seigneurs leur feront commander sur peine de confiscation de leurs retz et encroz qui seront tendus apres l'assignation faite dudit lief (document de 1561 [?], ibid. 92). L'existence de ce mfr. lief subst. masc. « action de lever un filet de pêche tendu dans une pêcherie ; redevance féodale constituée de l'ensemble des poissons pris dans ce coup de filet » ne fait cependant pas de doute. C'est un déverbal de lever, parallèle du préfixé fr. relief et qui n'est pas isolé en Bretagne. Godefroy (Gdf 3, 196c) a déjà relevé enlieff subst. masc. « enlèvement » dans un arrêt du Parlement de Bretagne de 1688 et l'a qualifié de 'mot certainement ancien', d'où hbret. enlieff subst. masc. « action d'enlever la récolte, etc. » (1688, Gdf) (FEW 5, 280b, lĕvāre). Il n'est pas nécessaire d'en citer d'autres exemples de la même période et de la même région. Mais le simple lief est aussi attesté en Bretagne au 15e siècle avec le sens de « action de percevoir (un impôt) » : Confession faite par Jeanne, dame de Rochefort et de Rieux, par laquelle la dite dame confesse que le lief et imposition qu'elle a fait lever en ses terres et baronnies d'Ancenis, Rochefort, Le Louerié, Ranrouet, Chasteauneuf de la Noe et de Fougeré, pour la reparation des chasteaux de sesdites seigneuries, sur plusieurs marchandises passans et entrans en ses terres, ce a esté par la permission du Duc […] (1420, Arthur de La Borderie, " Recueil de documents relatifs aux monuments de l'architecture militaire du Moyen Âge en Bretagne (de l'an 1222 à 1497) ", Bulletin archéologique de l'Association bretonne, t. 12 [1893/1894], pp. 172-173). Mfr. lief subst. masc. « poisson voisin du merlan, lieu » est un fantôme que, tout à sa passion ichthyonymique, Barbier a créé et qui a été validé par la quête de " meilleures " premières attestations. |