Tout comme l'avait fait La Curne avant lui, Gdf 7, 399c enregistre le substantif féminin serte « bateau plat, chaland », relevé dans les Mémoires de Philippe de Commynes, édités par François-Régis Chantelauze, à Paris en 1881, lequel « curieusement, a rejeté en note les variantes du manuscrit M (dont nous avons perdu la trace) et restitué dans le texte les leçons des anciennes éditions » (CommB, Introduction, LVII). Au passage correspondant, qui relate les préparatifs de la traversée du Pas-de-Calais par l'armée anglaise sous la conduite d'Edouard IV en juillet 1475, l'édition J. Calmette/G. Durville donne : Le roy Edouard estant à Douvres pour son passaige, luy envoya le duc de Bourgongne bien cinq cens bateaux de Hollande et Zelande, qui sont platz et bas de bort et bien propices à porter chevaulx et s'appellent scutes [ = A, selon Calmette ; sentes D ; santes P ; sectes B et M], et vindrent de Hollande (CommC, II, 30). L'apparat critique explique que l'édition B. de Mandrot, basée sur le manuscrit P, avait transcrit santes, mais avait adopté la leçon scute à l'erratum qui termine son t. II, p. 48[1!], à la suite d'une communication d'A. Thomas et B. de la Roncière. En outre, l'éditeur déclare que « le mot scute est la forme francisée d'un terme de marine hollandais désignant le type de navire décrit ici. Le trésorier de l'Échiquier déboursa 663 livre pour l'affrètement des scutes dont parle Commynes, ainsi que nous l'apprend un document du Record Office, Teller's (sic) rolls, 51 […] » (II, 30, n. 2). Quant à l'édition J. Blanchard, qui utilise le manuscrit P comme manuscrit de base, elle porte la leçon santes « bateaux à fond plat et bas de bords » (CommB2 262/50 ; sentes A, D, X1 ; sectes B, M ; sertes éd. 1524, Sauvage [VE a la même leçon que A, D, X1], cf. Variantes – Livre IV, V, 50, t. II, p. 818). Malgré la proposition de correction santes en scutes (holl. Schuit), suggérée par A. Thomas et B. de la Roncière, et adoptée dans les Errata et addenda de l'édition Mandrot (II, 481), J. Blanchard maintient le mot sente, qui trouve un appui dans le fait qu'il est employé, à plusieurs reprises, par Joinville au sens de « fond de cale d'un navire » (Gdf ; TL ; FEW 11, 466b sentina ; mais pour Jal et FennisGal : "p.-ê. transcription erronée de certains mss. pour soute"). Il s'avère qu'aucun des neuf manuscrits des Mémoires ne semble offrir scutes, pas même A, contrairement à ce que prétend Calmette, mais on observe une certaine hésitation sur la restitution u/n chez les différents éditeurs, qui lisent tantôt seutes (Mandrot), tantôt sentes (Calmette et Blanchard) dans le manuscrit D (début 16e s.), tantôt scutes (Calmette), tantôt sentes (Blanchard) dans le manuscrit A (début 16e s.). Si nous en croyons le relevé des variantes effectué par Blanchard, deux manuscrits s'accordent sur la leçon santes (P, déb. 16e s., confectionné pour Anne de Polignac, la nièce de Commynes et dont le texte a été relu et corrigé, ms. de base des éd. Mandrot et Blanchard ; C, fin 15e s., « ms. le plus ancien, mais ce n'est pas un bon témoin » ; son absence dans les variantes indique probablement que son texte est ici conforme à celui du ms. de base P), quatre partagent la leçon sentes (A « copie médiocre » ; D, X1, daté de 1520 ; VE « Vieil Exemplaire », manuscrit perdu, connu par l'éd. de Sauvage [1552]) et enfin deux manuscrits présentent une transcription erronée (sectes) due à des copistes embarrassés par un terme technique qu'ils ne connaissaient pas (B, déb. 16e s., « copie plus soignée que A », et M, déb. 16e s. ?). Quant à l'avatar fantomatique sertes, il apparaît dans l'édition princeps fort défectueuse de la Cronique et hystoire faicte et composée par feu Philippe de Commines, parue à Paris en 1524 chez Galliot Du Pré, et se trouve non seulement dans les Mémoires de Philippe de Commines produits en 1648 ou 1649 (La Curne), mais aussi dans les Mémoires de Philippe de Commynes, publiés par François-Régis Chantelauze (Gdf). Il conviendrait donc de supprimer le terme de marine serte dans La Curne, Gdf et Kemna. En ce qui concerne la forme santes / sentes, confortée par la coalition des manuscrits, elle constitue une leçon acceptable, mais le rapprochement avec sente « fond de cale d'un navire » (Joinville), proposé par Blanchard, ne nous convainc pas tout à fait, étant donné que l'existence du terme maritime sente n'est pas bien assurée (Jal et FennisGal : erreur pour soute ?). « La leçon de D (seutes) laisse clairement transparaître la vraie forme du mot dont a voulu se servir Commynes : c'est scute (hollandais schuit), qui est aussi employé par Froissart […] », affirmait, non sans pertinence, A. Thomas dans le compte rendu consacré à Kemna, Der Begriff « Schiff » im Französischen (Romania 31, [1902], 430-431). Après avoir été adoptée par B. de Mandrot dans l'erratum de son édition, la proposition de correction d'A. Thomas a séduit J. Calmette au point de lui faire imaginer qu'il y a scutes dans le manuscrit A, lequel donne en réalité seutes / sentes, tout comme D et X1. Toutefois, la correction scutes n'est peut-être pas à écarter complètement, dans la mesure où le contexte explique qu'il s'agit de bateaux de charge plats et bas de bord qui viennent de Hollande, ce qui correspond parfaitement à la description des scutes / escutes « petits bateaux de charge des Mers du Nord, à fond plat » (Jal ; Jal2; DMF : escute ; DMF : scute ; FEW 17, 64a : scûte mndl.). De plus, la variante sectes que B et M ont en commun donne à penser que le modèle utilisé par les deux copistes portait un mot comportant un c. Par ailleurs, J. Calmette indique qu'un document du Record Office, Tellers' Rolls, fait état de la dépense de 663 livres pour l'affrètement des scutes dont parle Commynes. Si le document en question contient l'équivalent anglais schoute, scowt(e), shute, showte, etc., la correction scutes gagnerait en vraisemblance (cf. MED, shout2 ; OED2, scout et shout). |