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chanterelle1, subst. fém.

Étymologie
Histoire :
0. Loc. nom. fém. corde chanterelle « corde chanteuse ». Attesté depuis 1545 [dans une traduction de l'italien] (Martin, Azolains1, page 21 vo : […] entre la dissonance des grieves lamentations se faict sentir comme une corde chanterelle, propre et convenable a tous amoureux infortunez). Cf. aussi Vauquelin de la Fresnaye, les Foresteries, 1555, I, 8, Huguet : Mais bien la chanterele corde Ou il fredonne ses ébats ; Astier, Bouquet, 1610, page 36 : Ces propos courtisans, qui en leur piperie veulent pinser la corde chanterelle de leur hypocrisie, n'ont force d'enchanter le sens de mon ouye ; Lambert, Commentaires, 1677, page 99 : ils [certains vers] sont pour l'ordinaire de la longueur et grosseur de la corde chanterelle du violon. - 
1. (musique) « première corde, la plus fine et la plus aiguë dans un instrument à manche ». Attesté depuis 1547 (Philibert de Vienne, Philosophe de court2, 1547, page 44 : (en parlant des maîtresses) […] c'est pitié que de leur main tendrette, incontinent elles rompent une chanterelle). Cf. encore Solitaire premier3, 1552, page 53 : La premiere estoit nommée Hypate, la seconde Mese, et la tierce Nete : pource que ces mots Grecs, selon l’ordre, que je les ay nommez, signifient la basse corde, la moyenne et la haute. Voyez en vostre Leut (ce disant j’avançay la main, et le prins) la plus basse c’est Hypate, l’une de ces quatriesmes, je pourrois nommer Mese, et celle, que vulgairement on nomme chanterelle, seroit Nete ; Belon, Observations4, 1553, page 206, Des lucs et de leurs accords en Turquie : […] je m’en suis servi pour guiterne. Elle a aussi une chanterelle derriere dessus la grosse corde du bourdon, qui monte à la octave de la chanterelle de devant ; Labé, Euvres5, 1556, page 133 : [un démon] Me dit : c’est trop sus un lut pris plaisir. N’aperçois tu un furieux desir Cherchant autour de toy une cordelle, Pour de ton cœur la Dame au lut saisir ? Et, ce disant, rompit ma chanterelle ; [dans une traduction de l'italien] Chappuys, Description de la Limagne d'Auvergne6, 1561, page 139 : Diodore escrivant des trois Mercures, dit que le premier, qui fut Egyptien, appelé Trismegiste, & inventeur de beaucoup de choses, ayant trouvé l'usage de la harpe il y mit trois cordes imitant les trois temps de l'année, comme l'esté avec l'aigu, qui est la chanterelle : l'hyver avec le grave, qui est la basse ; [dans une traduction de l'italien] Belleforest, Recreation7, 1571, page 148 vo : Et quiconque se plaindroit de la nature (ajousta‑il) je pense qu'il auroit la mesme response que eut la chanterelle de la lyre d'Apollon, laquelle se plaignant de son maistre que comme elle fut la plus deliée de toutes les cordes de son instrument, estoit neantmoins celle que le plus on travailloit ; Mersenne, Harmonie, 1636, page 12 : […] le nom que les Italiens donnent aux six chordes de leurs Violes vis‑à‑vis desquels l’on void comme nous les appelons : … Canto, Chanterelle / Sotana, Seconde / Mezana, Troisiesme / Tenor, Quatriesme / Bourdon, Cinquiesme / Basso, Sixiesme chorde. — Première attestation lexicographique : Duez 1660, s.v. Chanterelle d’instrument, cantino, cantarella, et canto. - 

Origine :
0. Formation française : composé du substantif corde* et de l'adjectif chanterelle, dérivé du verbe chanter* à l'aide du suff. -erel, -erelle, suffixe qui était employé en ancien français pour former des adjectifs et des substantifs déverbaux de sens agentif, souvent avec l'idée additionnelle de comportement habituel, cf. ancien français chantereals « chanteur » (1226), lecherel « gourmand », tricherel « trompeur » (tous TL). Chanterel avait aussi un cognat en ancien provencal cantarel « qui aime à chanter » (1225/1245, Levy). À ajouter FEW 2, 222a, cantare I1.
1. Formation française : ellipse de corde chanterelle (0.). L'hypothèse d'une création française est préférable à celle d'un emprunt à l'italien, malgré le fait qu'it. cantarella soit déjà attesté avec le sens pertinent dans une lettre écrite à Milan le 15 Octobre 1471 (citée ds Riv. ital. musicol. 21/1, 1986, p. 45), donc presque un siècle avant fr. chanterelle : « Volemo che per questo cavallaro ne mandi una scatola de bone corde da leguto, tolendole dogni rasone, zoè tenori, contricante et cantarelle. » Mais il y a de bonnes raisons de ne pas attribuer en l'occurrence trop de poids au critère chronologique. Tout d'abord, il faut noter que les attestations d'it. cantarella sont extrêmement rares (absent GDLI, DELI2 ; LEI 10, 1395 le relève seulement dans des dictionnaires de 1772 à 1847 et Franchi, Hohnerlein et Pfister, semblent traiter le terme comme un gallicisme : « cfr. fr. medio chanterelle », LEI 10, 1398), le terme usuel en italien ayant toujours été canto ou cantino. Dans ce contexte, il est aussi remarquable que les occurrences de chanterelle qu'on trouve dans les traductions d'ouvrages italiens au 16e siècle ne rendent jamais cantarella, mais plutôt giusta corda (1545, Bembo, trad. Martin), canto (1561, Symeon, trad. Chappuys) et soprano della sua cetera (1571, Guicciardini, trad. Belleforest). Il semblerait que les traducteurs aient eu recours tout naturellement au mot chanterelle, en usage dans la "langue vulgaire". De plus, Mersenne nous apprend que la chanterelle est appelée canto en italien, ce dont témoigne aussi le texte de Symeon (canto) et sa traduction française due à Chappuys (chanterelle). Enfin, une dérivation autochtone d'it. cantarella est peu probable parce que les dérivés agentifs déverbaux en -arello sont typiques des dialectes italiens situés entre Naples et l'Italie centrale, tandis que les quelques exemples qu'on peut trouver dans les dialectes du nord de l'Italie semblent avoir été importés soit du sud de l'Appenin soit de la France (cf. Rainer, RLiR 85, 2021, 447‑506). La diffusion du mot en français a été assurée par des ouvrages à succès, tels que la traduction des Azolains de Bembo faite par Jean Martin (1547) et ses nombreuses réimpressions tout au long du 16e siècle, ou encore les Euvres de Louise Labé (1555/1556), qui suscitèrent un engouement général. On dit aujourd'hui en italien cantino, cf. GRADIT, s.v. can|tì|no s.m. TS mus. [av. 1722 ; der. di 1canto con 1‑ino] negli strumenti a corda : corda più sottile e dal suono più acuto : cambiare il c. del violino . Cf. von Wartburg in FEW 2, 222a, cantare I1.

 
1   Jean Martin (?‑1553) est l'un des traducteurs français les plus importants de la première moitié du 16e siècle, étant donné qu'il a traduit des textes majeurs de la Renaissance italienne, notamment les Azolains, de la nature d'Amour, de Pietro Bembo (Venise 1470‑Rome 1547). La traduction des Azolains était une commande princière et fut publiée en 1545. Selon l'Épître dédicatoire du traducteur, elle était faite « par le commandement » du duc d'Orléans, Charles de Valois, troisième fils de François Ier, qui mourut la même année, après une tentative d'établissement en Italie. Jean Martin s'était servi de l'édition publiée à Venise en 1540, probablement revue par l’auteur, comme nous l'apprend la note aux lecteurs du traducteur (155). Sa version parut en 1545 (Paris, M. de Vascosan et G. Corrozet). Une deuxième édition fut publiée à Paris en 1547, une troisième à Lyon en 1551, partagée entre Philibert Rollet et Guillaume Rouille. Cette traduction connut un certain succès et fut encore réimprimée en 1553 (Paris, A. L'Angelier), 1555 (Lyon, G. Rouille), 1572 (Paris, Le Mangnier) et 1576 (Paris, Galliot du Pré). Cependant, au passage correspondant des Gli Asolani di Monsignor P. Bembo, Venetia : Monferrato, 1540, 15, on trouve : "et tra molta dissonantia dinfiniti dolori ella, quasi giusta corda, piu spesso al suono della verita risponde : si come quella, che è la piu propria di ciascuno amante, et in se la piu vera" (même texte éd. Venegia, Monferrato, 1554, 15 et éd. Vinegia : Giouanantonio et i Fratelli da Sabbio, 1530 [edition seconda], Primo Libro, B VII r°).
2   Le Philosophe de Court est un texte satirique qui répond au Cortegiano (Le Courtisan) de Baldassare Castiglione publié en italien en 1528. Il se rattache de par son fond au grand courant anti‑aulique et à la polémique anti‑italienne.
3   Le Solitaire premier, ou Prose des Muses, et de la fureur Poëtique est l'un des cinq « Discours philosophiques » sous forme de dialogues, que Pontus de Tyard (1521‑1605) a fait paraître isolément, tous anomymes, de 1552 à 1558. Il recueillit ces écrits en prose plus tard, en 1587, en les intitulant Discours philosophiques de Pontus de Tyard (Paris : Abel L'angelier, 1587, un vol.). Son œuvre poétique valut à ce poète de l'école lyonnaise (cf. note 5), d'être rattaché par Ronsard à sa Pléiade.
4   Grand voyageur, Pierre Belon (1517‑1564) parcourt le Levant de 1546 à 1549 et relate son voyage en 1553 dans Les Observations de plusieurs singularitez et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Judée, Égypte, Arabie et autres pays estranges. Curieux de tout, il collecte de nombreuses observations en histoire naturelle ainsi qu'en archéologie et sur la vie des peuples qu'il côtoie. En 1542, il avait rejoint en Italie son maïtre le botaniste allemand Valerius Cordus (Erfurt 1515‑Rome 1544) en tournée botanique et qui mourra en chemin.
5   Fille d'un riche marchand cordier, Louise Labé est née aux environs de Lyon vers 1524. Elle bénéficia d'une éducation complète à l'imitation des hautes dames italiennes, à la fois littéraire (elle savait le latin et l'italien), musicale (elle composait en français et en italien et chantait en s'accompagnant d'un luth) et sportive (elle était habile écuyère et escrimeuse). Tous ses poèmes ont pour thème unique l'amour et semblent emprunter leurs idées à des auteurs tels que Bembo et Erasme. Le salon de la poétesse à Lyon accueillait, entre autres, Maurice Scève, Jean‑Antoine de Baïf , Olivier de Magny et Pontus de Tyard. Cependant, certains spécialistes du 16e siècle doutent de son existence. En effet, Mireille Huchon affirme que Louise Labé n'est qu'une fiction élaborée par un groupe de poètes gravitant autour de Maurice Scève (cf. Huchon M., Louise Labé. Une créature de papier, Genève, Droz, 2006).
6   Ce texte du savant florentin Gabriel Symeon (1509‑1575), traduit par Antoine Chappuys du Dauphiné, a paru l'année précédente (en 1560) en italien, chez le même éditeur (G. Rouille). Gabriel Symeon a fait plusieurs voyages en France. Il a séjourné en 1558 en Auvergne, auprès de l'évêque de Clermont. Guillaume Duprat, l'aurait, à cette occasion, chargé de réaliser l'alimentation en eau potable de la ville à partir de captations faites à Royat. Déjà auteur d'un ouvrage sur les emblèmes et les devises, il consacre la première partie de ce livre à des commentaires sur les représentations symboliques des médailles antiques. Il s'intéresse ensuite à la bataille de Gergovie, dont il est le premier à identifier le site. À la fin du volume, il commente la représentation gravée du cénotaphe qu'il souhaite se faire édifier et c'est dans ce contexte que se lit le passage cité ci‑dessus. Nous faisons remarquer que l'édition italienne de 1560 porte le texte suivant : "Scrivendo Diodoro di .iij. Mercurij, dice che il primo, che fu Egyptio detto Trismegisto, et inventore di molte cose, trovato l'uso della Lyra vi messe tre corda imitando i tre tempi dell'Anno, come la State con l'acuto, quale e il Canto : il Verno col grave, che e il Basso" (Le sententiose imprese, et Dialogo del Symeone, Lyone, Guglielmo Rouiglio, 1560, 224).
7   Au passage correspondant de L'Hore di recreatione di Lodovico Guicciardini, Venetia : C. Zanetti, 1572, 294, on peut lire : "soprano della sua cetera".


Rédaction TLF 1977 : Équipe diachronique du TLF. - Mise à jour 2021 : Franz Rainer ; Jean-Paul Chauveau ; Nadine Steinfeld. - Relecture mise à jour 2021 : Cristina Diego Pacheco ; Jonathan Auclair ; May Plouzeau.


Première mise en ligne : 14 avril 2022. - Dernière révision : 31 mai 2022. - Mise en ligne : 01 juin 2022.

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