TLF-Étym

  Résultat de la requête 

morbidité, subst. fém.

Étymologie
Histoire :
A. 1. (médecine) « état caractéristique de la maladie ». Attesté depuis 1818 [dans un compte‑rendu sur deux publications anglaises relatives à l’état des prisons en Angleterre] (ArchPhilPolLit, tome 4, page 116 : Il jugeait, par le degré de morbidité empreint dans leurs traits, du temps qu’ils avaient passé dans la prison […]). Cf. encore : Revue des romans, 1839, tome 2, page 124 [compte‑rendu sur la traduction d'un roman anglais] : Aux incertitudes, aux faiblesses de Mottram, ce grand homme manqué, elle oppose le caractère ferme et décidé d’une femme qui, saisie dès son enfance par des malheurs fort réels, n'eut pas le temps de s'amollir dans les langueurs d'une morbidité factice ; Sem. litt. Courr. États-Unis, 1845, 7e série, volume 1, page 210 : Le Mort‑Vivant s'était redressé et se tenait en selle sur son cheval cabré, ferme comme un bloc, mais son visage avait perdu ce marasme et cette morbidité qu'on y voyait auparavant, […] ; Christophe, Impondérables, 1852, page 188 : Pour faciliter la compréhension de notre théorie et de notre pratique, nous allons rapporter quelques ordonnances cliniques, et nous servir des chiffres pour indiquer, à la fois, et ceux des trente‑six ordres nosologiques qui constituent les différents genres de morbidité de l'organisme, et ceux des trentes‑six ordres thérapeutiques qui doivent composer le traitement. - 
A. 2. (statistique médicale) « nombre d'individus atteints par une maladie dans une population donnée et pendant une période déterminée ». Attesté depuis 1852 [dans un texte provenant de la Suisse] (Arch. gén. méd., 4e série, tome 30, page 372 : Pour le climat de Genève, […] M. Lombard est arrivé à reconnaître les influences pathologiques suivantes : A une température froide et durable, sèche et variable, à l’abaissement et à de fortes oscillations du baromètre, à la prédominance du vent du nord et à la rareté des brouillards, correspond une forte morbidité). Cf. encore : Journ. méd. chir. pharmacol., 20e année, volume 34, 1862, page 302 : Pour ce qui concerne la statistique de la morbidité et de la mortalité, parmi ces 1,584 femmes tombèrent malades pendant ou après l'accouchement 127 ou 8°/°, dont 46 ou 2,90°/° moururent. ; Arch. méd. nav., tome 1, 1864, page 132 : Mais, afin de donner une idée nette de l'augmentation des cas de maladie déterminés par l'état de guerre, il sera nécessaire, avant tout, d'observer quel est le chiffre de morbidité pendant la paix. - 
B. Par ext.. « décadence, dépravation, caractère malsain ». Attesté depuis 1885 [dans une traduction de l'anglais] (Drysdale, Éléments, page 134 : En outre, il y a presque toujours une morbidité sexuelle enracinée ; si nous analysons le cas avec soin, nous trouverons que celle‑ci est la véritable essence du dérangement de l'état mental. [Mais l'exemple pourrait peut‑être encore être rangé sous A, puisque la sexualité tombe à la fois dans le domane physiologique et psychique]). Cf. encore : Rev. Deux mondes, 1892, page 315 : La fréquence toujours croissante des précoces criminalités, des avortemens, des infanticides, des suicides, des aliénations mentales est un signe non équivoque de morbidité sociale, […] ; Rev. socialiste, tome 24, 1896, page 573 : Nous allons tâcher, dans cette étude, d'exposer les vraies causes de la morbidité de l’empire turc […] ; Rev. générale, volume 71, 1900, page 687 : […] cette simplicité et cette complexité procèdent, au fond, de la même inquiétude d'esprit, de la même morbidité spirituelle dont nous souffrons tous ; Merezhkovsky, Tolstoï, 1903, page 258 : Ce qui mérite d'être relevé bien plus que la cruauté de Dostoïewsky envers les autres, c'est sa cruauté envers lui‑même, c'est sa maladie, ou du moins sa morbidité artistique ; Ann. pol. litt., tome 51, 1908, page 273 : Et l'on arrive à faire s'identifier morbidité et romantisme. Je reconnus que ce n'est pas sans motif. Oui, la déliquescence, la décadence, l'amoralisme, le goût des étrangetés malsaines, nous viennent, sans conteste, du romantisme, […] ; English Review, tome 2, 1909, page 816 : Ce sont de beaux romans […] Ils sont nés d’une imagination créatrice et d’un esprit capricieux auquel s'ouvrent tous les domaines de l'étrangeté : on y trouve quelques traces d'une morbidité qui semble le dernier écho du baudelairisme […]. - 

Origine :
A. 1. Transfert linguistique : calque du néolatin morbiditas subst. fém., attesté en latin moderne depuis la Renaissance, et même lemmatisé dans certains dictionnaires comme celui de Francis Gouldman, A copious dictionary in three parts, Cambridge : Hayes 1678 : "Morbiditas, & Morbositas. Diseasedness". Les dictionnaires du latin de l'Antiquité connaissent l'adjectif morbidus 'malade', mais pas le nom de qualité correspondant, morbiditas. Les premières attestations en français suggèrent que l'anglais pourrait avoir servi d'intermédiaire. Cf. von Wartburg in FEW 6/3, 124b, morbidus 1b.
A. 2. Transfert linguistique : calque de l'allemand Morbidität subst. fém., attesté pour la première fois dans Möller, F. v. "Ereignisse der im Jahre 1845 zu Hanau angestellten metereologischen Beobachtungen, sowie der beobachtete Einfluss der Witterung im genannten Jahre auf die Morbidität und Mortalität der Bewohner Hanaus", Jahresbericht der Wetterauischen Gesellschaft für die gesamte Naturkunde über das Gesellschaftsjahr 1845/46 [Hanau 1847], pp. 90‑97. Le terme anglais correspondant, morbidity « rate of disease, or a specific disease, in a population » (OED3, 1.b.), est attesté pour la première fois en 1852. Le médecin allemand C. H. Fuchs avait proposé pour ce même concept le terme Morbilität (Neue wissenschaftliche Annalen der gesammten Heilkunde [Berlin: Enslin], t. 2, 1835, p. 387), qui a très tôt été calqué comme morbilité en français : "On voit donc combien se sont trompés ceux qui ont cru que la morbilité et la mortalité sont régies par une même loi" (Annales d'Hygiène publique et de médecine légale, t. 24, 1840, p. 429). L'extension sémantique observable dans l'emploi statistique de morbidité avait donc aussi un modèle immédiat dans morbilité. Les deux termes ont été employés côte à côte pendant un certain temps, mais vers la fin du 19e siècle morbidité a évincé son concurrent, comme d'ailleurs aussi Morbidität en allemand et morbidity en anglais. Les langues romanes du Sud, par contre, continuent à employer le terme concurrent : it. morbilità, esp. morbilidad, pg. morbilidade. Cf. von Wartburg in FEW 6/3, 124b, morbidus 1b.
B. Formation française : issu par évolution sémantique du sens médical du terme traité sous A. 1. Du sens physiologique, on passe par analogie au domaine de la psychologie, de l'esprit, de l'art, de la société ou de la politique. Comme l'adjectif morbide connut une extension analogue, il serait aussi possible de traiter ces substantifs comme nominalisations des adjectifs correspondants. En anglais, l'emploi métaphorique de morbidity est déjà attesté avec antériorité (1795, selon OED3, 2.). On ne peut donc pas exclure que l'emploi métaphorique ait été inspiré par cette langue. Cf. von Wartburg in FEW 6/3, 124b, morbidus 2b.


Rédaction TLF 1985 : Équipe diachronique du TLF. - Mise à jour 2020 : Franz Rainer ; Jean-Paul Chauveau. - Relecture mise à jour 2021 : Nadine Steinfeld.


Première mise en ligne : 14 avril 2022. - Dernière révision : 20 avril 2022. - Mise en ligne : 20 avril 2022.

Fermer la fenêtre