C.N.R.S.
 

DÉRom en anglais
 
Dictionnaire Étymologique Roman
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*/ˈluk‑e‑/ v.intr. « émettre une lumière »

I. Flexion en */‑ˈe‑/
*/luˈk‑e‑re/ > sard. lúkere v.intr. « émettre une lumière, briller » (Salvioni,RIL 32, 143 ; DES ; PittauDizionario 1)1, tosc. [luˈkere] (dp. 1265, LEIMatériaux ; TLIOCorpus ; DEI), frioul. centr.-orient. lusê (ASLEF 24 n° 127).

II. Flexion en */‑ˈi‑/
*/luˈk‑i‑re/ > dacoroum. luci v.intr. « briller » (dp. 16e s. [luceşte prés. 3], Tiktin3 ; Candrea-Densusianu n° 1009 ; DLR ; Cioranescu n° 4928 ; MDA), aroum. luţéscu (Pascu 1, 111 s.v. luţire ; DDA2 ; BaraAroumain)2, itsept. lusì (CherubiniVocMil2 ; Malaspina ; Tiraboschi ; Faré n° 5136 ; DEI), frioul. lusî (dp. 1ère m. 17e s. [lusin prés. 6], DAroncoAntologia 138 ; GDBTF ; PironaN2 ; ASLEF 24 n° 127), romanch. glüschir (dp. 1774, Giger in DRG 7, 503-506 ; HWR), fr. luisir (dp. ca 1100 [encore wall. saint. lorr.], FEW 5, 429a ; Gdf ; TL ; TLF s.v. luire ; AND2 ; ALFSuppl 119 ; ALW 3, 27)3, frpr. ˹luire˺ (dp. ca 1220/1230 [luisit parf. 3], Philipon,R 30, 252 ; FEW 5, 429a)4, occit. luzir (dp. 1150/1180, BernVentA 40 ; Raynouard ; Pansier 3 ; AppelChrestomathie ; DAO n° 15), gasc. lusi (1583, DAG n° 15 ; RohlfsGascon2 212 ; Palay)5, cat. lluir (dp. ca 1272, DCVB ; DECat 5, 297), esp. lucir (dp. ca 1220, Kasten/Cody ; DCECH 3, 718 ; DME ; Kasten/Nitti), ast. llucir (dp. 18e s. [llocir], DELLAMs ; DGLA), gal. lucir/port. luzir (dp. ca 1264/1284, TMILG [luzir] ; DDGM ; DRAG2 ; DELP3 ; Houaiss ; CunhaVocabulário2).

III. Flexion en */ˈ‑e‑/
*/ˈluk‑e‑re/ > it. [ˈlutʃere] v.intr. « briller » (dp. 1276, TLIOCorpus ; Salvioni,RIL 32, 143 ; Faré n° 5136 [lomb. lùsi ; sic. lùciri « être utile »])6, frioul. [ˈluzi] (GDBTF ; ASLEF 24 n° 127), fasc. lujer (dp. 1914, Kramer/Thybussek in EWD s.v. lujé)7, occit. lúse (dp. 14e s. [luser], BernVentA 40 ; Raynouard ; FEW 5, 249a ; DAO n° 15 [prov. lang.]), gasc. ˹lùse˺ (Palay ; RohlfsGascon2 212 ; Bec,VD 10, 45 ; CorominesAran 169).

Commentaire. – À l’exception du végliote, toutes les branches romanes présentent des cognats conduisant à reconstruire, soit directement (I.), soit à travers un type morphologique évolué (II. ; III.), protorom. */ˈluk‑e‑/ (inf. */luˈk‑e‑re/) v.intr. « émettre une lumière, briller ».
Les issues romanes ont été subdivisées ci-dessus selon les trois classes flexionnelles sur lesquelles elles semblent reposer : flexion en */‑ˈe‑/ (inf. */luˈk‑e‑re/ ; I.), flexion en */‑ˈi‑/ (inf. */luˈk‑i‑re/) et flexion en */ˈ‑e‑/ (inf. */ˈluk‑e‑re/ ; III). Le type */‑ˈe‑/ (I.), minoritaire, qui se reconstruit à partir de cognats observés en sarde (cf. néanmoins n. 1) et dans deux idiomes remontant au protoroman continental (tosc. frioul.) et dont le modèle flexionnel est récessif (MeyerLübkeGLR 2, § 124, 127), se dénonce comme le plus ancien, remontant au protoroman commun, dont les deux autres sont issus par changement de flexion. Parmi les deux métaplasmes flexionnels, celui qui aboutit à la classe en */‑ˈi‑/ (II.) est continué dans la branche roumaine et dans une grande partie de la Romania ‛italo-occidentale’ (itsept. frioul. romanch. fr. frpr. occit. gasc. cat. esp. ast. gal./port.), ce qui permet de l’attribuer au protoroman continental. En revanche, le type flexionnel */ˈ‑e‑/ (III.), confiné à une aire centrale (it. frioul. lad. occit. gasc.), ne peut pas être reconstruit pour une période antérieure à la séparation du protoroumain et du protoroman ‛italo-occidental’.
Tandis que la reconstruction du prototype en */‑ˈi‑/ (II.) est en adéquation avec l’analyse traditionnelle (REW3 : entrée double lūcēre/*lūcīre ; von Wartburg in FEW 5, 432a : “lūcēre [...] ist offenbar noch lt. zu *lūcīre geworden”), celle du type en */ˈ‑e‑/ ne va pas de soi. En effet, l’analyse traditionnelle (REW3 ; RonjatGrammaire 3, 143 ; FEW 5, 432a) consiste à rattacher les données que nous avons classées sous III. au type I., et donc à considérer implicitement que le passage de la flexion en */‑ˈe‑/ à celle en */ˈ‑e‑/ est idioroman. L’aire dessinée par les cognats en question (it. frioul. lad. occit. gasc.) nous semble toutefois suffisamment cohérente pour en postuler, avec Bec,VD 10, 45, 47 (qui ne se prononce que sur l’occitan et le gascon), une origine commune (et donc héréditaire).
Le corrélat du latin écrit du type I., lucere v.intr. « id. », est usuel durant toute l’Antiquité (dp. Plaute [* ca 254 – † 184], TLL 7, 1692 ; IEEDLatin), tandis que le latin de l’Antiquité ne connaît pas de corrélat des types II. et III. Du point de vue diasystémique (latin global), les deux derniers types se dénoncent donc comme des oralismes et peuvent être attribués plutôt au latin d’immédiat communicatif.

Bibliographie. – MeyerLübkeGLR 1, § 30-31, 45-47, 70-71, 306-307, 351, 404-405, 441, 455 ; 2, § 119, 169 ; REW3 s.v. lūcēre/*lūcīre ; von Wartburg 1950 in FEW 5, 429a-433a, lūcēre ; Ernout/Meillet4 s.v. *lūc-/lŭc- ; LausbergSprachwissenschaft 1, § 166, 168-170, 184-185, 253, 273 ; 2, § 308, 384, 387-395 ; HallPhonology 68 ; SalaVocabularul 542 ; MihăescuRomanité 177.

Signatures. – Rédaction : Laure Grüner. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Günter Holtus ; Pierre Swiggers ; Valentin Tomachpolski. Romania du Sud-Est : Maria Iliescu ; August Kovačec ; Nikola Vuletić. Italoromania : Giorgio Cadorini ; Paul Videsott. Galloromania : Jean-Paul Chauveau. Ibéroromania : Maria Reina Bastardas i Rufat ; Myriam Benarroch ; Ana Boullón ; Ana María Cano González. Révision finale : Éva Buchi. – Contributions ponctuelles : Marta Andronache ; Pascale Baudinot ; Ana María Cano González ; Laura Chavarot ; Jérémie Delorme ; Xosé Lluis García Arias ; Xavier Gouvert ; Yan Greub ; Christoph Groß ; Ulrike Heidemeier ; Sergio Lubello ; Marco Maggiore ; Mihaela-Mariana Morcov ; Jan Reinhardt ; Matthieu Segui.

Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 15/08/2014. Version actuelle : 22/06/2020.

 


1. Le sarde a fait passer tous les verbes appartenant initialement à la flexion en */‑ˈe‑/ à celle en */ˈ‑e/ (cf. Wagner,ID 14, 137), de sorte qu’il est impossible de déterminer avec certitude si sard. lúkere remonte à l’une ou à l’autre flexion protoromane. Dans le doute, nous reprenons à notre compte l’analyse traditionnelle (REW3 ; FEW 5, 432a ; DES), même si elle est probablement influencée par les données du latin écrit.
2. L’aroumain ne connaît presque plus l’infinitif verbal (Saramandu,Tratat 460 ; Kramer,LRL 3, 429-430) ; la forme citationnelle est la première personne du singulier du présent.
3. Phonétiquement, fr. luisir et frpr. *luisir pourraient aussi reposer sur le type I. (cf. HafnerGrundzüge 70 ; BourciezPhonétique § 59) ; nous les classons ici, comme von Wartburg in FEW 5, 432a, par affinité aréologique. Pour ce qui est de fr. luire (dp. 12e s., FEW 5, 429a ; Gdf ; GdfC ; TL ; AND2 ; Bloch/Wartburg5), il s’agit d’une réfection qui a évincé l’issue héréditaire dans la langue commune (FouchéVerbe 232). Frpr. ˹luire˺ manifeste la même évolution idioromane, à la différence près que l’issue héréditaire n’est pas attestée.
4. Cf. n. 3.
5. Selon RohlfsGascon2 212, le changement de flexion serait idioroman.
6. Nous suivons REW3 et FEW 5, 432a pour considérer cette donnée, dont le traitement phonétique est régulier, comme héréditaire. On ne peut toutefois pas exclure l’hypothèse d’un latinisme défendue par DELI2.
7. Bad. fod. lujé (dp. 1763 [luschè], Kramer/Thybussek in EWD) ne peut pas reposer, comme le EWD le laisse entendre, sur le type ci-dessus I., mais manifeste un phénomène de régularisation idioromane sur les issues de la flexion en */‑ˈa‑/ (cf. KramerFormenlehre 64).

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