C.N.R.S.
 

DÉRom en anglais
 
Dictionnaire Étymologique Roman
  Résultat de la requête 
*/ˈlɪmpid‑u/ adj. « qui n’a pas d’impureté en compromettant la transparence, clair »

*/ˈlɪmpid‑u/ > sard. limpiđu adj. « qui est faiblement coloré (pain), clair » (DES ; PittauDizionario 1 ; CasuVocabolario ; EspaLogudorese ; AIS 343 p 958, 967)1, dacoroum. limpede « qui n’a pas d’impureté en compromettant la transparence, clair » (dp. 16e s., Tiktin3 ; EWRS ; Candrea-Densusianu n° 987 ; DA/DLR ; Cioranescu n° 4835 ; MihăescuRomanité 177 ; MDA)2, aroum. límpid (Pascu 1, 107-108 ; DDA2 ; MihăescuRomanité 177 ; BaraAroumain)3, istriot. ˹leînpio˺ (Rosamani ; PellizzerRovigno)4, itsept. ˹limpid˺ (Malaspina ; Salvioni 1, 32, 46 ; Candiago/Romanato ; LSI)56, tosc. occid. ˹lémporo˺ « qui laisse passer la lumière et paraître les objets qui se trouvent derrière, transparent » (Nieri [Lucca] ; Salvioni 2, 294-295 ; DEI ; Faré n° 5056 ; Pardini,ACSt 7, 99)7, cors. limpiu « clair » (Guarnerio,AGI 14, 176), frioul. limpi (Salvioni,RIL 32, 143 ; PironaN2 ; GDBTF)8, occit. ˹linde˺ (dp. 1785 [lindë f.], FEW 5, 348a ; ALF 1683 p 840)9, gasc. ˹limpe˺ (dp. 1er qu. 15e s. [limpre], LespyR ; Levy ; FEW 5, 348a ; Palay), esp. limpio « qui n’a pas d’impuretés, pur » (dp. fin 12e/déb. 13e s., MenéndezPidalCid 2, 735 ; Kasten/Cody ; DCECH 3, 658-659 ; DME ; CORDE ; cf. SecoLéxico), ast. llimpiu (dp. 1263 [limpio], DELLAMs ; DGLA ; DALlA), gal./port. limpo (dp. 13e s., DELP3 ; DDGM ; DRAG2 ; TMILG ; CunhaVocabulário2)10.

Commentaire. – À l’exception du végliote (cf. toutefois n. 3), du ladin, du romanche, du français, du francoprovençal11 et du catalan12, toutes les branches romanes présentent des cognats conduisant à reconstruire */ˈlɪmpid‑u/ adj. « qui n’a pas d’impureté en compromettant la transparence, clair ».
Les issues romanes de l’étymon montrent des évolutions phonétiques différenciées : on trouve des cognats qui présupposent la syncope de la voyelle posttonique (occit. gasc.) à côté d’autres caractérisés par la désinence -io/-iu issue par chute de */-d-/ (istriot. cors. esp. ast. gal./port.). La présence d’un bon nombre de continuateurs présentant une forme plus conservatrice (sard. dacoroum. aroum. itsept. tosc. frioul.) nous semble assurer que ces changements phonétiques se sont produits à une époque précoce, mais postérieure à la phase protoromane.
Dans la Romania italo-occidentale, les issues de ce protolexème ont été concurrencées par celles de protorom. */ˈklar‑u/ : cette situation en a causé parfois la marginalisation (italien), voire la disparition à une époque prélittéraire (lad. romanch. fr. frpr. cat.). Du point de vue sémantique, la coexistence avec ce lexème concurrent semble avoir déterminé des spécialisations dans plusieurs issues romanes : l’issue sarde ne survit que dans le sens « clair (pain) » ; tosc. occid. ˹lémporo˺ ne présente que le sens « transparent » ; enfin, dans l’Ibérie, les continuateurs de */ˈlɪmpid‑u/ ont acquis le sens « pur », puis « propre », qui a fini par devenir le sens dominant. En revanche, les autres parlers romans concernés (dacoroum. aroum. istriot. itsept. cors. frioul. occit. gasc.) appuient la reconstruction de « clair » comme sens originel de l’étymon.
En raison des difficultés phonétiques posées par ce rattachement, nous ne suivons pas Diez s.v. lindo, MenéndezPidal,RFE 34, 4 et von Wartburg in FEW 5, 348ab pour rattacher à */ˈlɪmpid‑u/ esp. lindo adj. « joli » (dp. 16e s., DCECH 3, 660) et port. lindo (dp. 16e s., DELP3). Nous acceptons pleinement l’hypothèse de Cuervo,RH 9, 5 (> REW3 s.v. lēgĭtĭmus ; MalkielEssays 235-237 ; DCECH 3, 659-661), selon laquelle esp./port. lindo remontent à protorom. */leˈɡɪtim‑u/. En effet, cette étymologie s’articule bien avec le sens originel de ces deux lexèmes : aesp. lindo « de naissance ou d’origine conforme au droit, légitime » (1240 – 1595, DCECH 3, 659-660 ; DME ; Kasten/Cody ; CORDE), gal./port. ˹lindo˺ (dp. 14e s., LorenzoCronologia 225 ; cf. aussi LorenzoCrónica 2, 762 ; Malkiel,Lingüística 2).
Le corrélat du latin écrit, limpidus adj. « clair », est connu depuis Catulle (*ca 85 – † ca 55, TLL 7/2, 1425 ; Ernout/Meillet4 s.v. limpidus). D’après DCECH 3, 658-659, le sens « propre » de l’espagnol, de l’asturien, du galicien et du portugais se trouverait déjà en latin tardif (Celius Aurelianus, écrivain africain du 5e s.). Compte tenu de la diffusion restreinte du sémantisme parmi les issues de la base protoromane, nous préférons plutôt analyser ce sens comme un développement postérieur idioroman ou régional de la péninsule Ibérique.

Bibliographie. – MeyerLübkeGLR 1, § 68, 301, 327, 332, 405, 436, 458, 524 ; 2, § 59, 333 ; REW3 s.v. lĭmpĭdus ; Ernout/Meillet4 s.v. limpidus ; von Wartburg 1950 in FEW 5, 348ab, lĭmpĭdus ; LausbergLinguistica 1, § 167, 272-273, 284-291, 308, 375, 415 ; SalaVocabularul 563 ; LEIMatériaux.

Signatures. – Rédaction : Steven N. Dworkin ; Marco Maggiore. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Valentin Tomachpolski. Romania du Sud-Est : Cristina Florescu ; Nikola Vuletić. Italoromania : Giorgio Cadorini ; Stella Medori ; Simone Pisano ; Paul Videsott. Galloromania : Jean-Paul Chauveau. Ibéroromania : Ana Boullón ; Ana María Cano González. Révision finale : Éva Buchi. – Contributions ponctuelles : Pascale Baudinot ; Myriam Benarroch ; Jérémie Delorme ; Xosé Lluis García Arias ; Clara Grande López ; Yan Greub ; Maria Iliescu ; Luca Morlino ; Antonio Vinciguerra.

Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 30/12/2014. Version actuelle : 16/06/2020.

 


1. Asard. limpidu est attesté indirectement, à travers un anthroponyme (12e/13e s., CorpusATLiSOr). Dans l’emploi courant contemporain, l’adjectif est souvent substantivé dans le sens de « pain de blé » (DES). Des raisons phonétiques et sémantiques amènent à considérer logoud./campid. limpiu adj. « propre » (DES ; PittauDizionario 1 ; CasuVocabolario) comme des emprunts à esp. limpio, qui se seront superposés à l’issue héréditaire.
2. Nous ne suivons pas MeyerLübkeGLR 2, § 59, qui propose une base *limpidis pour expliquer la classe flexionnelle de l’issue dacoroumaine, que nous analysons au contraire, suite à Candrea-Densusianu n° 987 et DA/DLR (cf. aussi EWRS et Cioranescu n° 4835), comme due à l’attraction analogique d’adjectifs comme verde (< */ˈβɪrd‑e/). En effet, le lexème héréditaire est continué sans changement morphologique dans les parlers aroumains, ce qui assure la présence du continuateur de */ˈlɪmpid‑u/ en protoroumain.
3. Le lexème ne semble pas être conservé en végliote, mais on peut en trouver une attestation indirecte dans latméd. limbidus, attesté dans un document de 1458 provenant de Dalmatie : “ac duo vasa vini obtimi et limbidi” (Kostrenčić).
4. Pour ce qui est d’istriot. lànpado (PellizzerRovigno), il semblerait emprunté à vén. làmpido (SalvioniPostille ; PratiEtimologie 149), cf. n. 6.
5. It. limpido adj. « clair » (dp. 1300/1310, TLIOCorpus ; GDLI ; VEI ; DEI ; DELI2 ; Nocentini), fr. limpide (dp. ca 1500 [éd. 1529], GdfC ; FEW 5, 348a ; TLF), cat. límpid (dp. ca 1900, DECat 4, 956-957 ; DCVB), esp. límpido (dp. 1737, CORDE ; DCECH 3, 658 ; DworkinHistory 174) et port. límpido (dp. 16e s., DELP3), sont des emprunts à lat. limpidus.
6. Nous ne suivons pas VEI s.v. limpido, qui considère ce lexème comme un emprunt à it. limpido (cf. n. 5). Par ailleurs, plusieurs parlers de l’Italie du Nord connaissent aussi une variante ˹lampid˺ adj. « id. », dont la voyelle tonique (“mit unerklärtem -a-”, REW3) dénonce un croisement avec la famille lexicale d’it. lampada s.f. « lampe », lampo s.m. « foudre », lampante adj. « évident » (cf. PratiEtimologie 149 ; DEI s.v. lémpore ; Faré n° 5056). Il n’y a pas assez d’éléments pour appuyer l’hypothèse de RohlfsGrammStor 1, § 57, qui suppose un passage */‑ˈɪ‑/ > */‑ˈa‑/ devant consonne nasale sur la base de la comparaison entre lomb. lamped et támbel s.m. « timbale ».
7. Malgré DeGregorio,StGl 7, § 423, nous acceptons l’interprétation de REW3 s.v. lĭmpĭdus, DEI s.v. limpido et BeccariaSpagnolo 227 (cf. RohlfsGrammStor 1, § 216), qui considèrent sic. lìmpiu adj. « propre » (dp. av. 1519, Leone,BCSic 15 ; BeccariaSpagnolo 227 ; VS) et camp. lìmbiə (dp. 1628 [limpio], VinciguerraRocco ; StromboliBasile 678) comme des emprunts à l’espagnol. En revanche, les dérivés cal. ˹limpedinə˺ s.f. « clairière » (Alessio,RIL 72, 364 ; DEI ; Faré n° 5056) et allimpədá v.tr. « nettoyer (le grain) » (NDC) semblent témoigner indirectement de la présence ancienne du simple dans les parlers de l’Italie du Sud.
8. Nous suivons Tomaschett in DRG 11, 258 pour considérer romanch. limpid adj. « clair » (dp. 1895) comme un emprunt à it. limpido (cf. n. 5).
9. Nous acceptons l’hypothèse de von Wartburg in FEW 5, 348a, selon laquelle fr. limpe adj.f. « claire (mer) » (1529, Delboulle,R 33, 566) représente un emprunt ponctuel au portugais.
10. Le type phonétique intermédiaire linpio est attesté dans un document de 991 rédigé en latin (cf. DELP3 ; DDGM).
11. FEW 5, 348a enregistre bien SRfrpr. [limyo] adj. « fade, sans goût », mais [my] ne correspond pas à un traitement francoprovençal ; il pourrait s’agir d’un emprunt à une variété linguistique voisine (peut-être à l’occitan septentrionnal).
12. Bien que */ˈlɪmpid‑u/ n’ait pas laissé d’issues en catalan, cette branche a dû connaître le lexème, comme le témoigne la présence dans le catalan occidental pyrénéen de llempo s.m. « partie d’une montagne sans végétation », ainsi que du toponyme Coma Llempia (DECat 4, 956-957 ; Gulsoy,HomenatgeCasacuberta 31). Par ailleurs, en territoire aragonais, on trouve le toponyme Agua-lémpeda dans un cartulaire du 11e siècle (cf. DECat 4, 957) : il s’agit d’une relique précieuse des étapes antérieures de l’évolution phonétique de */ˈlɪmpid‑u/ dans les parlers du sud de la Gaule et de l’Ibérie, où la voyelle tonique [-ˈi-] des issues occitane, gasconne, espagnole, asturienne et galégo-portugaise s’explique par métaphonie.

Lien permanent :  http://www.atilf.fr/DERom/entree/'lImpid-u