C.N.R.S.
 

DÉRom en anglais
 
Dictionnaire Étymologique Roman
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*/ˈmεl‑e/ s.m. « substance sucrée élaborée par les abeilles à partir du nectar des fleurs »

I. Substantif masculin originel : archaïsme d’aires isolées et latérales absolues
*/ˈmεl‑e/ > sard. mèle/mèli s.m. « substance sucrée élaborée par les abeilles à partir du nectar des fleurs, miel » (Wagner,AR 20, 343 ; DES ; PittauDizionario 1 ; 2 ; AIS 1159), ast. miel (dp. fin 13e s. [ensemble du domaine], DELLAMs ; DGLA ; DALlA)1, gal./port. mel (dp. 1257, TMILG ; DDGM ; DRAG2 ; DELP3 ; Houaiss ; CunhaVocabulário2)2.

II. Substantif féminin innové : aires isolées et latérales relatives
*/ˈmεl‑e/ > dacoroum. miere s.f. « miel » (dp. 1500/1510 [date du ms. ; miiare], Psalt. Hur.2 1, 157 ; Tiktin3 ; EWRS ; Candrea-Densusianu n° 1103 ; DLR ; IvănescuIstoria1 118 ; Cioranescu n° 5262 ; MDA), istroroum. mlˈåre (MaiorescuIstria 134 [miară, mliare] ; Byhan,JIRS 6, 279 ; PuşcariuIstroromâne 3, 122, 191 [ml’elu ; mnjel] ; SârbuIstroromân 229 ; FrăţilăIstroromân 1, 220-221), méglénoroum. ńari (Candrea,GrS 6, 175 ; CapidanDicţionar), aroum. ńeáre (dp. 1770 [ννιάρε], KavalliotisProtopeiria n° 0617 ; Pascu 1, 131 [n’ari] ; DDA2 ; BaraAroumain), itsept. ˹miele˺ (dp. 13e s., Faleri in TLIO ; Tiraboschi [lomb.] ; Faré n° 5469 ; REP s.v. mel ; FEW 6/1, 652a [lig. émil.-romagn. avén.] ; AIS 1159 [lig. piém. lomb. émil.-romagn. vén.])3, frioul. mîl (dp. 1403 [mile], VicarioRotoli 1, 57 ; 2, 118 ; PironaN2 ; DDFF ; AIS 1159 p 318-319, 327-328, 338-339, 348-349, 357 ; ASLEF 339 n° 1163, 378 n° 1437)4, lad. miel (dp. 1763 [mil], Kramer/Thybussek in EWD ; AIS 1159 p 305, 312, 314-315 ; ALD-I 464 p 81-91, 93-101)5, frpr. miar (VilliéBeaujolais = DardelGenre 14 ; ChenalValdôtain2 s.v. më ; ALLy 368 p 34, 37 ; ALJA 799 [Isère míya])6, occit. sud-occid. mel (dp. 1387, Levy ; RonjatGrammaire 3, 12 et n. 2 ; FEW 6/1, 647a ; ALF 852 ; ALLOc 512 ; ALLOr 637), gasc. mérid. mèu (RonjatGrammaire 3, 12 et n. 2 ; FEW 6/1, 647b ; CorominesAran 571 ; ALF 852 ; ALG 551), cat. mel (dp. 1249, DCVB ; MollSuplement n° 2185 ; DECat 5, 550-553), arag. miel (dp. 1291, CORDE ; TilanderFueros 81 ; Wilmes,AIL 6, 206 [mial] ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize ; MottChistabino2), esp. miel (dp. ca 1150/1250, CORDE ; Kasten/Cody ; DCECH 4, 67-68 ; DME ; NTLE [Palencia] ; Kasten/Nitti), ast. centr. miel (dp. 1306 [San Bartolomé de Nava], DELLAMs [aujourd’hui seulement Sobrescobiu] ; DGLA).

III. Substantif masculin restauré : Romania centrale et ses marges orientales
*/ˈmεl‑e/ > végl. mil s.m. « miel » (BartoliDalmatico 238, 268, 428 § 420 ; ElmendorfVeglia ; MihăescuRomanité 107), istriot. mel (Rosamani s.v. miel [Rovigno et Dignano ; “dappertutto maschile”] ; PellizzerRovigno s.v. mel ; AIS 1159 p 397-398), it. miele (dp. 4e qu. 12e s. [aitsept. mel], TLIO ; DELI2 ; AIS 1159), romanch. meil/mèl (dp. 1560 [meel/mêl], GartnerBifrun 25, 94 ; HWR ; LRC ; Tomaschett in DRG 14, 74-86 ; AIS 1159 p 1-19), fr. miel (dp. 1er qu. 12e s. [mel], GdfC ; FEW 6/1, 646a-647b ; TL ; TLF ; DEAF ; ANDEl s.v. mel1 ; ALF 852)7, frpr. ˹miel˺ (dp. ca 1220/1230 [mel], ProsalegStimm 89, 126 = HafnerGrundzüge 23 ; FEW 6/1, 646b-647b ; HafnerGrundzüge 23-24, 26-29 ; ALF 852), occit. mel (dp. ca 1031/1081, CartConqD 380 = Chambon,Lengas 48, 9, 10, 35 ; Raynouard ; Levy ; AppelChrestomathie 160 ; FEW 6/1, 646a-647b ; Pansier 3, 5 ; BrunelChartes ; ALF 852), gasc. mèu (dp. 1583, FEW 6/1, 646a, 647b ; Raynouard ; Levy ; CorominesAran 571 ; ALF 852 ; ALG 551).

Commentaire. – Tous les parlers romans sans exception présentent des cognats conduisant à reconstruire, soit directement, soit à travers un type morpholexical secondaire, protorom. */ˈmεl‑e/ s.m. « substance sucrée élaborée par les abeilles à partir du nectar des fleurs, miel »8.
Une partie des continuateurs de protorom. */ˈmεl‑e/ présente le genre masculin, une autre le genre féminin, de sorte qu’on peut hésiter sur son genre originel. Son corrélat du latin écrit appartient très majoritairement au genre neutre (cf. ci-dessous), ce qui a incité traditionnellement les auteurs à partir d’un étymon neutre. C’est ce qui semble être le cas de Meyer-Lübke in REW39, et l’analyse est explicite chez Keller in FEW 6/1, 652a : “das ursprüngliche neutrum mĕl ist auf dem weitaus grössten gebiet der Romania heute mask. geworden, so auch im fr. Jedoch gibt es auch gebiete, in denen das wort zu den feminina übergetreten ist”. La reconstruction comparative ne permet toutefois pas de remonter à un substantif neutre : contrairement à ce que l’on observe dans des cas comme */ˈali‑u/ s.n. ou */ˈrap‑u/ s.n., reconstruits sur la base de cognats masculins et féminins (cf. Benarroch,DÉRom 1, 137-142 ; Delorme,DÉRom 1, 174-175), on ne relève pas de cognats ici qui remonteraient à un type issu d’une remorphologisation d’un ancien neutre pluriel, comme le seraient **/ˈmεll‑a/ ou **/ˈmεl‑ia/. Une analyse aréologique et stratigraphique, nourrie de l’apport déterminant de Dardel,ACILR 14/2 (qui approfondit et corrige l’analyse de DardelGenre 14-15), recommande au contraire de reconstruire un masculin originel et de postuler ensuite deux strates plus récentes, la première caractérisée, sous la pression de la tendance générale du protoroman à faire passer au féminin les substantifs de la troisième déclinaison (cf. Dardel,ACILR 14/2, 75), par l’apparition d’une variante féminine de */ˈmεl‑e/, la seconde par la restitution partielle du masculin sous la pression de l’“influence savante dans le cas des substantifs qui avaient été masculins ou neutres en latin classique” (Dardel,ACILR 14/2, 76). Durant toute la période de “flux et reflux” du féminin, le protoroman a donc connu une variation de genre interne, au sein de laquelle le masculin occupait d’abord une position dominante, puis une position de repli, avant de reconquérir de nouveau une partie du domaine.
Nous avons subdivisé ci-dessus les continuateurs romans de protorom. */ˈmεl‑e/ selon les trois strates ainsi dégagées : masculin originel (I.), féminin innové (II.) et masculin restauré venu le recouvrir plus récemment (III.). Le masculin originel (I.) est typiquement conservé dans des aires de retrait à la périphérie de la Romania, la Sardaigne d’une part et une aire asturo-galégo-portugaise de l’autre. Le féminin innové (II.) s’étend du roumain (dacoroum. istroroum. méglénéroum. aroum.) à l’asturien, en passant par une bande presque contiguë de la Romania continentale (itsept. frioul. lad. frpr. occit. sud-occid. gasc. mérid. cat. arag. esp.). Cette aréologie incite à attribuer le féminin à une couche secondaire, qui n’a atteint ni la Sardaigne ni la partie la plus occidentale de l’Iberia, mais a pu marquer la plus grande partie de la Romania avant la seconde vague d’innovation, caractérisée par la restitution du masculin. L’aire de ce masculin restitué (III.) est cantonnée à la Romania centrale et ses marges orientales (végl. istriot. it. romanch. fr. frpr. occit. gasc.) : c’est l’Italia et la Gaule qui innovent.
Cette répartition géographique rappelle suffisamment (sans pourtant s’y superposer) celles de */ˈɸɛl‑e/, */ˈlakt‑e/, */ˈmar‑e/, */ˈpɔnt‑e/, */ˈsal‑e/ et */ˈsangu‑e/ étudiés par Robert de Dardel (Dardel,ACILR 14/2)10 pour admettre la même explication : protorom. */ˈmεl‑e/ connaissait les deux genres, le masculin étant plus ancien, le féminin – issu plus récemment (mais assez tôt pour avoir pu être transmis au roumain) de la tendance analogique à féminiser les substantifs de la troisième déclinaison – s’étant largement généralisé avant d’être repoussé par le masculin innovant. Une analyse aréologique, historique et diastratique des données romanes incite à considérer cette restauration du masculin, fondamentalement dans l’Italia et en Gaule, comme le fait d’une réaction due à l’école ayant influencé d’abord les couches supérieures alphabétisées, avant de se diffuser aux parlers ruraux (le masculin du végliote et de l’istriote est frappant)11.
Plusieurs zones à la frontière des trois aires – l’asturien entre le masculin originel et le féminin innové, l’italien septentrional, le francoprovençal, l’occitan et le gascon entre le féminin innové et le masculin restauré – présentent une variation de genre interne : on ne peut pas tout à fait exclure que ce flottement reflète dans certains cas la concurrence entre le genre vernaculaire et celui adopté sous l’influence des langues-toits en question (cf. aussi MeyerLübkeGLR 2, § 377 : “en mil., fel et mel sont fém. à la campagne, masc. à la ville”), même si cette hypothèse semble exclue pour l’asturien, où le féminin est attesté dès 1306 à San Bartolomé de Nava, dans le centre du domaine.
Le corrélat exact du latin écrit, mele s. [m. ou f.] « id. », n’est attesté que depuis la deuxième moitié du 4e siècle (dp. Chiron, TLL 8, 605), tandis que c’est la variante mel, mellis s.n. qui était usuelle dans le code écrit durant toute l’Antiquité (dp. Plaute [*ca 254 – † 184], TLL 8, 605 ; IEEDLatin). À noter qu’en latin tardif, même la variante mel, mellis présente quelquefois le genre masculin (6e s., TLL 8, 605)12.

Bibliographie. – MeyerLübkeGLR 1, § 150, 152, 306-307, 313, 405, 457 ; 2, § 377 ; REW3 s.v. mĕl ; Ernout/Meillet4 s.v. mel, mellis ; Keller 1968 in FEW 6/1, 646a-653b, mĕl ; LausbergLinguistica 1, § 171-172, 299, 385 ; 2, § 502-503 ; HallPhonology 38 ; Faré n° 5469 ; SalaVocabularul 543 ; MihăescuRomanité 269 ; DardelGenre 14-15, 63 ; Dardel,ACILR 14/2.

Signatures. – Rédaction : David Paul Gerards. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Jean-Pierre Chambon ; Pierre Swiggers ; Valentin Tomachpolski. Romania du Sud-Est : Victor Celac ; Nikola Vuletić. Italoromania : Giorgio Cadorini ; Paul Videsott. Galloromania : Jean-Paul Chauveau. Ibéroromania : Ana Boullón ; Ana María Cano González ; Maria Reina Bastardas i Rufat ; José Antonio Saura Rami. Latin et/ou indo-européen : Romain Garnier. Révision finale : Éva Buchi. – Contributions ponctuelles : Marta Andronache ; Simone Augustin ; Pascale Baudinot ; Myriam Benarroch ; Giorgio Cadorini ; Wolfgang Dahmen ; Steven N. Dworkin ; Cristina Florescu ; Xosé Lluis García Arias ; Xavier Gouvert ; Yan Greub ; Günter Holtus ; Marco Maggiore ; Giorgio Marrapodi ; Stella Medori ; Jan Reinhardt ; Matthieu Segui.

Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 04/09/2018. Version actuelle : 26/01/2021.

 


1. À l’exception de l’attestation de 1306 (cf. ci-dessous II.), le genre des données asturiennes anciennes n’est pas marqué. Comme le masculin est quasiment exclusif dans les dialectes contemporains, nous attribuons les attestations à genre incertain au masculin.
2. La date de 1114/1128 proposée par DELP3 renvoie à un document latin (LegesConsuetudines 1, 367 – et non pas, comme indique DELP3 par erreur, 366) et est donc à rejeter. Quant à la date de ca 1120 que FEW 6/1, 652a attribue à Morais10, elle ne correspond à aucune citation fournie par ce dictionnaire.
3. Cf. aussi aitsept. ˹[aˈmel]˺ s.m., qui montre, en dépit de son passage au masculin sous l’influence du toscan, l’agglutination de l’ancien article féminin (MeyerLübkeGLR 2, § 377 ; REP s.v. mel).
4. Le lexème est féminin dans VicarioRotoli 1, 57 (dans VicarioRotoli 2, 118, le genre est impossible à déduire du contexte). Le féminin est clairement indigène en frioulan (cf. aussi amîl f., ASLEF 378 n° 1437 p 15), même si on relève des masculins à ses bords occidental et oriental, dans des zones historiquement en contact avec le vénitien.
5. Le romanche (engadinois) connaît également le féminin, mais selon Tomaschett in DRG 14, 86, il n’est pas indigène : “Das teils weibliche Genus in E beruht auf Einfluss aus dem Oberitalienischen”.
6. Il est vrai qu’en valdôtain, le genre pourrait être influencé par les parlers italiens en contact, mais comme le français ne connaît que le masculin, le genre féminin des données lyonnaises et iséroises doit être originel.
7. La première attestation fournie par le DEAF est extraite de la Passion de Clermont, texte composé dans un idiome dont l’identification n’est pas assurée (peut-être occitan, cf. DePoerck,RLiR 27 ; DEAFBiblEl s.v. PassionA).
8. Pokorny s.v. meli-t, LEIA M-50-51 s.v. mil et IEEDCeltic s.v. meli, qui analysent les données en question comme des continuateurs réguliers du protoceltique, ne confirment pas l’opinion de LothBrittoniques 185 (qui a apparemment inspiré FEW 6/1, 652a), selon lequel le cornique et le breton vannetais auraient emprunté lat. mel.
9. À défaut d’une indication explicite, les substantifs formant des étymons dans le REW3 relèvent du même genre que celui qu’ils revêtent en latin classique. Par ailleurs, MeyerLübkeSchicksale 10 et MeyerLübkeGLR 2, § 377 partent d’un étymon neutre, le premier en précisant que le substantif est passé au féminin “im späteren lat. und romanischen”.
10. Cf. notamment */ˈɸɛl‑e/ (qui fonctionne un peu comme un antonyme de */ˈmεl‑e/) et */ˈsal‑e/, dont la répartition des genres est semblable (DardelGenre 15).
11. Cf. DardelGenre 15 : “les zones de masculins correspondent à des régions de la Romania où la langue savante a laissé les traces les plus durables. Tout concourt donc à prouver que [...] mel [...] étai[...]t [...] féminin[...] en roman commun. L’italien littéraire refoule le féminin vers le nord, le français littéraire le refoule vers le Midi”.
12. MeyerLübkeSchicksale 10 (> DardelGenre 63) croyait avoir relevé des attestations féminines de mel chez Gargilius, mais son interprétation des contextes en question était erronée : “[cepa s.f.] cocta cum melle” (« oignon cuit avec du miel ») ; “[radix s.f.] commesta inaceto et melle infusa” (« racine comestible infusée de vinaigre et de miel »), cf. RoseAnecdota 2, 142.

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