C.N.R.S.
 

DÉRom en anglais
 
Dictionnaire Étymologique Roman
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*/ˈnɪɡr‑u/ adj. « qui a la couleur achromatique la plus foncée (par opposition au blanc et aux couleurs chromatiques) »

*/ˈnɪɡr‑u/ > dacoroum. negru adj. « qui a la couleur achromatique la plus foncée (par opposition au blanc et aux couleurs chromatiques), noir » (dp. 1500/1510 [date du ms.], Psalt. Hur.2 1, 177 ; Tiktin3 ; EWRS ; Candrea-Densusianu n° 1219 ; DLR ; Cioranescu n° 5661 ; MDA), istroroum. negru (MaiorescuIstria 136 ; Byhan,JIRS 6, 286 ; PuşcariuIstroromâne 3, 124 ; SârbuIstroromân 236 ; FrăţilăIstroromân 1, 229), méglénoroum. negru (Candrea,GrS 6, 173 ; CapidanDicţionar), aroum. negru (Pascu 1, 125 ; DDA2 ; BaraAroumain), istriot. ˹nigro˺ (DeanovićIstria 114 ; Rosamani ; AIS 1574 p 397, 398 ; FilipiEtimologije 4, 656 ; ILA n° 307 [Rovigno, Dignano])1, it. nero (dp. 1176/1200, TLIOCorpus ; Merlo,AUTosc 44, 65 ; Merlo,RIL 86, 235 ; Faré n° 5917 ; DELI2)2, frioul. neri (dp. 2e m. 14e s. [negri ; sens figuré], BenincàEsercizi 41 ; PironaN2 ; DDFF), lad. neigher (dp. 1856, VLL ; ALD-I 500 p 92-101)3, romanch. nair/ner (HWR ; LRC ; cf. EichenhoferLautlehre § 453), fr. noir (dp. ca 1100 [neir], TLF ; FEW 7, 129b ; Gdf ; GdfC ; TL ; DEAFPré s.v. noir ; ANDEl s.v. neir), frpr. ner (dp. 1220/1230, ProsalegMussafia 180 ; HafnerGrundzüge 126, 129 ; FEW 7, 129b), occit. ner (dp. 1176/1198 [nier], BertrBornG 94 ; Raynouard ; Levy ; AppelChrestomathie ; Pansier 3 s.v. negre), gasc. ˹nére˺ (Palay s.v. né [“forme [...] ancienne et rare ; n’est guère conservée que dans les noms de lieux” ; cf. aussi s.v. nér, nére] ; CorominesAran 587-588)4, cat. negre (dp. 13e s., DECat 5, 898 ; DCVB), arag. negro (dp. 14e s., MackenzieAragonese ; NagoreEndize)5, esp. negro (dp. 13e s., CORDE ; Kasten/Cody ; DCECH 4, 221-222 ; DME ; Kasten/Nitti)6, ast. negru (dp. 1205, DELLA ; DGLA ; DALlA)7, gal./port. negro (dp. 13e s., DDGM ; DELP3 ; CunhaVocabulário3).

Commentaire. – À l’exception du sarde (cf. StefenelliSchicksal 91)8 et du végliote9, tous les parlers romans présentent des cognats conduisant à reconstruire protorom. */ˈnɪɡr‑u/ adj. « qui a la couleur achromatique la plus foncée (par opposition au blanc et aux couleurs chromatiques), noir ».
En l’absence de continuateurs en sarde, la méthode comparative ne permet pas de reconstruire protorom. */ˈnɪɡr‑u/ pour la période du protoroman commun (ou protoroman stricto sensu), mais seulement pour la strate plus récente du protoroman continental, postérieure à l’individuation du protosarde (2e moitié du 2e siècle [?], cf. Straka,RLiR 20, 256). Toutefois, le diminutif */nɪˈɡ‑ɛll‑u/, maintenu notamment en sarde (cf. n. 8), ce qui en assigne la formation au protoroman commun, permet, par un procédé de reconstruction interne, de postuler */ˈnɪɡr‑u/ déjà pour la période du protoroman commun.
Protorom. */ˈnɪɡr‑u/ soulève une question ardue de reconstruction sémantique. En effet, bon nombre d’idiomes romans connaissent, et cela dès le Moyen Âge, des sens secondaires de type « qui inspire de l’inquiétude, de la mélancolie, de la terreur » ou « répréhensible, immoral », ce qui pourrait conduire à en attribuer l’origine à l’étymon, d’autant que son corrélat en latin écrit (cf. ci-dessous) en atteste certains (cf. AndréCouleurs 57). Toutefois, le passage du sens « noir » à des sens à connotation négative est tout à fait trivial dans les langues du monde : la DatSemShifts atteste ainsi, à partir du sens « noir », des sens secondaires de type « mauvais », « triste » ou encore « illégal », et cela dans de nombreux idiomes appartenant à des familles linguistiques sans lien de parenté entre elles. Il est donc tout à fait possible, voire probable, que ces sens figurés représentent des évolutions idioromanes parallèles, basées sur une transposition métaphorique très répandue à travers les langues et les cultures, et qu’ils ne continuent pas directement le sémantisme de l’étymon protoroman. Ces sens secondaires peuvent refléter des registres littéraires du latin et des langues romanes médiévales, ces dernières à une époque pendant laquelle les registres écrits n’influençaient guère la langue parlée. Par conséquent, on ne reconstruit ici que le sens chromatique de */ˈnɪɡr‑u/, sans toutefois exclure catégoriquement la possibilité de l’existence de sens secondaires de l’étymon.
Le corrélat du latin écrit, niger, -gri adj. « noir (brillant) », est connu durant toute l’Antiquité (dp. Plaute [* ca 254 – † 184], OLD ; Ernout/Meillet4 s.v. niger ; AndréCouleurs 58 ; IEEDLatin). Son sens contraste avec ater « noir (mat) » (Gaffiot ; AndréCouleurs 57) et pullus « noir (sombre) » (Gaffiot), mais le témoignage des idiomes romans fait penser que ces distinctions n’existaient pas dans la langue parlée : le seul sens reconstructible pour protorom. */ˈatr‑u/ est « noir » (cf. REW3 s.v. ater ; Fanciullo 1989 in LEI 3, 2001-2005, āter ; Boutier 1992 in FEW 25, 654a-661b, ater), tandis que la reconstruction du corrélat protoroman de lat. pullus ne va pas de soi (cf. REW3 s.v. pullus et von Wartburg 1959 in FEW 9, 535b, pullus).

Bibliographie. – MeyerLübkeGLR 1, § 70, 308, 405, 494 ; REW3 s.v. nĭger ; Ernout/Meillet4 s.v. niger ; von Wartburg 1953 in FEW 7, 129b-137a, nĭger ; LausbergLingüística 1, § 167-168, 170, 272, 274 ; 2, § 304, 421 ; HallPhonology 102 ; SalaVocabularul 540 ; StefenelliSchicksal 138, 254.

Signatures. – Rédaction : Steven N. Dworkin ; Pascale Baudinot. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Pierre Swiggers ; Valentin Tomachpolski. Romania du Sud-Est : Cristina Florescu ; Nikola Vuletić. Italoromania : Giorgio Cadorini ; Marco Maggiore ; Paul Videsott. Galloromania : Jean-Paul Chauveau. Ibéroromania : Maria Reina Bastardas i Rufat ; Ana María Cano González ; José Antonio Saura Rami. Révision finale : Éva Buchi. – Contributions ponctuelles : Victor Celac ; Günter Holtus ; Wolfgang Schweickard.

Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 02/08/2019. Version actuelle : 25/10/2021.

 


1. Les formes à vocalisme /e/ citées par ILA n° 307 sont suspectes : elles ont été relevées dans des localités (Valle, Gallesano, Fasana et Sissano) dont le parler a subi une forte influence vénitienne.
2. L’attestation de nigro dans l’Indovinello veronese (8e/9e s.) fournie par le TLIO concerne un texte rédigé en latin.
3. Nous suivons Kramer/Kowallik in EWD s.v. fósch pour considérer lad. neigher comme héréditaire, à côté de son synonyme bad. gherd. fosch (dp. 1763, EWD ; < */ˈɸʊsk‑u/), même si sa tradition écrite est plus récente que celle de son concurrent. En effet, les données de l’ALD-I 500, 501 font penser que sur la base d’une synonymie originelle, les dialectes ladins septentrionaux (bad. gherd.) ont fini par sélectionner le continuateur de */ˈfʊsk‑u/, tout en conservant des issues de */ˈnɪɡr‑u/ dans la toponymie, tandis que les parlers des vallées méridionales (fod. fasc.) présentent la situation inverse.
4. En revanche, gasc. negre (Palay) constitue une forme savante.
5. En revanche, arag. negre (MackenzieAragonese ; AndolzAragonés4) représente un emprunt au catalan.
6. Les attestations des 10e et 11e siècles de type necro et negro fournies par SecoLéxico ont été relevées dans des documents latins.
7. L’anthroponymie fournit une attestation indirecte antérieure : Pelago Nigro (891 [ms 14e s.], texte latin, AriasPropuestes 1, 172 ; DELLA).
8. Le lexème sarde véhiculant le sémème « noir » est ˹nigeḍḍu˺ (DES ; < */nɪˈɡ‑ɛll‑u/, cf. REW3 s.v. nĭgĕllus).
9. Le lexème de base pour désigner cette couleur en végliote est fosc (BartoliDalmatico 309, 484 ; FisherVegliote 47 ; < */ˈɸʊsk‑u/). Quant à son synonyme niar (IveVeglia 152), il représente un emprunt au vénitien (cf. BartoliDalmatico 169 § 144 ; ElmendorfVeglia [“< Ital nero”]).

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