C.N.R.S.
 

DÉRom en anglais
 
Dictionnaire Étymologique Roman
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*/ˈpɔt‑e‑/ v.semi-aux./tr. « avoir la capacité nécessaire pour faire (qch.) ; remplir les conditions nécessaires pour se produire ; être en mesure de vaincre (qn) »

I. Verbe modal (+ infinitif) : « pouvoir »
*/poˈt‑e‑re/ > sard. pòdere/pòdiri v.semi-aux. « avoir la capacité nécessaire pour faire (qch.), pouvoir » (DES ; NVLS 1 ; AIS 1701 ; cf. Wagner,ID 14, 137 [-ēre > -ĕre]), dacoroum. putea (dp. 1500/1510 [date du ms.], Psalt. Hur.2 92 ; Tiktin3 ; EWRS ; Candrea-Densusianu n° 1491 ; Ciorănescu n° 6991 ; DLR ; MDA), istroroum. putę (MaiorescuIstria 141 ; Byhan,JIRS 6, 324 ; PuşcariuIstroromâne 3, 322 ; SârbuIstroromân 264 ; FrăţilăIstroromân 1, 259), méglénoroum. puteari (Candrea,GrS 6, 189 ; CapidanDicţionar s.v. pot ; WildSprachatlas 29, 3, 4, 5, 6 ; ALDM 1651, 1-7 ; AtanasovMeglenoromâna 227, 229, 237, 241), aroum. pot (dp. ca 1760, Kristophson,ZBalk 10/1 n° 0405, 0759 ; KavalliotisProtopeiria n° 304 ; Pascu 1, 149 s.v. puteáre ; DDA2 ; CapidanAromânii 432, 435, 436 ; BaraAroumain)1, végl. potar (BartoliDalmatico 1, 167, 207, 2, 324, 418, 373, 439, 453, 447, 471 ; ElmendorfVeglia), istriot. pudí (DeanovićIstria 116 ; Rosamani ; PellizzerRovigno ; AIS 1701 p 397, 398 ; cf. DeanovićIstria 13 [*/e/ accentué > /i/]), it. potere (dp. 1065 [aitcentr. poza subj. 3], TLIOCorpus ; DELI2 ; AIS 1701), frioul. podê (PironaN2 ; GDBTF ; AIS 1701), lad. podëi (dp. 1631, VLL ; Kramer/Schlösser in EWD ; AIS 1701 ; ALD-I 626), romanch. pudair/puder (HWR ; LRC ; AIS 1701), fr. ˹pooir˺ (dp. 842 [pois ind. prés. 1], HenryChrestomathie 1 ; TL ; FEW 9, 231b ; TLF ; ANDEl ; ALF 1081)2, frpr. poer (dp. déb. 13e s. [pueis ind. prés. 1], SommeCode 8 ; FEW 9, 231b ; HafnerGrundzüge 39, 46, 101, 104 ; ALF 1081), occit. ˹poder˺ (dp. 1060 [poiss ind. prés. 1], SFoiHA 1, 291 ; Raynouard ; Levy ; AppelChrestomathie ; FEW 9, 231b, 232a ; Pansier 5 ; BrunelChartesSuppl ; ALF 1081), gasc. ˹poudé˺ (dp. 1163/1185 [pod ind. prés. 3 ; ms. 2e m. 13e s.], CartBigRC 28 ; FEW 9, 232a ; BrunelChartes ; BrunelChartesSuppl ; CorominesAran 177 ; ALF 1081), cat. poder (dp. fin 12e/1ère m. 13e s., DCVB ; DECat 6, 632-637), arag. poder (dp. 13e s. [podrá fut. 3], TilanderVidal 2, 294 ; TilanderFueros 113 ; NagoreEndize), esp. poder (dp. fin 12e/déb. 13e s., DCECH 4, 588 ; Kasten/Cody ; DME ; Kasten/Nitti), ast. poder (dp. 1176, DELLAMs ; DGLA ; DALlA), gal./port. poder (dp. 1228, DDGM ; DRAG2 ; DELP3 ; HouaissGrande ; CunhaVocabulário3).

II. Verbe modal (+ infinitif/subordonnée subjective) : « être possible »
*/poˈt‑e‑re/ > sard. pòdere/pòdiri v.semi-aux. « remplir les conditions nécessaires pour se produire, être possible » (DES), dacoroum. putea (dp. 1648, DLR ; Tiktin3 [poate () loc. adv. « peut-être »] ; Candrea-Densusianu n° 1491 [poate (fi că) loc. adv. « peut-être »] ; Ciorănescu n° 6991 [v.pron.]), méglénoroum. putęri (CapidanDicţionar [pǫti să iḽă loc. adv. « peut-être »]), aroum. pot (Pascu 1, 149 [poate si hibă loc. adv. « peut-être »]), it. potere (dp. 1230/1250 [aitcentr. ind. prés. 3], TLIOCorpus ; GDLI), frioul. podê (GDBTF), lad. podëi (dp. 1819, VLL ; EWD [poéster adv. « peut-être »]), romanch. puder (HWR ; LRC), fr. ˹pooir˺ (dp. 1119 [put cel estre loc. adv. « peut-être »] – 15e s., FEW 9, 233a ; TL ; TLF ; ANDEl [puet estre loc. adv. « peut-être »])3, frpr. poer (dp. déb. 13e s., SommeCode 11), aoccit. poder (1272, AppelChrestomathie), gasc. ˹poudé˺ (dp. 1400 [no pusque ! « que cela ne puisse arriver ! »], ForsBéarnOG 394 ; CorominesAran 178), cat. poder (DCVB [potser adv. « peut-être »]), arag. poder (NagoreEndize), esp. poder (dp. fin 12e/déb. 13e s. [puede ser], Kasten/Cody ; DCECH 4, 588 [puede ser que loc. adv. « peut-être »] ; Kasten/Nitti ; DRAE22), ast. poder (DELLAMs [poder que ser] ; DGLA ; DALlA), gal./port. poder (dp. 1345, TMILG ; DDGM ; DRAG2 ; CunhaVocabulário3 ; HouaissGrande).

III. Verbe transitif : « surpasser (qn) »
*/poˈt‑e‑re/ > dacoroum. putea v.intr. « l’emporter (dans un combat), être victorieux » (dp. 1573/1578 [vieilli, rare], DLR ; Candrea-Densusianu n° 1491), aroum. pot (Pascu 1, 149 ; DDA2), ait. potere tr. « exercer une autorité (sur qn/qch.), dominer (qn) » (1313/1375 – 1474/1533, VocTreccani ; Barth,VRom 1, 119), romanch. puder « l’emporter (sur), avoir raison (de) » (Barth,VRom 1, 120 ; LRC), afr. ˹pooir˺ « être en mesure de vaincre (qn), surpasser (qn) » (12e – 13e s., TL ; Barth,VRom 1, 116-119 ; FEW 9, 232b), frpr. ˹poer˺ (Barth,VRom 1, 120 ; FEW 9, 232b), cat. poder (DCVB), esp. poder (dp. 1272/1275 [poder con « vaincre »], Kasten/Nitti ; Barth,VRom 1, 120 ; DCECH 4, 588 ; DRAE22), ast. poder (DELLAMs ; DGLA ; DALlA), gal./port. poder (dp. 1264/1284 [poder (con alguém) « avoir du pouvoir (sur qn) »], DDGM ; DRAG2).

Commentaire. – Tous les parlers romans sans exception présentent des cognats conduisant à reconstruire protorom. */ˈpɔt‑e‑/ v.semi-aux./tr. « avoir la capacité nécessaire pour faire (qch.), pouvoir ; remplir les conditions nécessaires pour se produire, être possible ; être en mesure de vaincre (qn), surpasser (qn) ».
Les issues romanes ont été subdivisées ci-dessus selon les trois sémèmes qu’elles présentent, qui sont liés à différentes valences. On distingue, d’une part, deux emplois semi-auxiliaires modaux : dans le premier, les continuateurs de */ˈpɔt‑e‑/ signifient « avoir la capacité nécessaire pour faire (qch.), pouvoir » et régissent un infinitif (I.), tandis que dans le second, leur sens est « remplir les conditions nécessaires pour se produire, être possible », et ils régissent un infinitif ou une subordonnée subjective. D’autre part, une troisième série de cognats invite à reconstruire un emploi transitif de */ˈpɔt‑e‑/, dont le sens est « être en mesure de vaincre (qn), surpasser (qn) » (III.).
Les sémèmes « pouvoir » (I.) et « être possible » (II.) de */ˈpɔt‑e‑/, qui se chevauchent dans la Romania, se reconstruisent sur la base de cogants sardes, roumains et italo-occidentaux. Cette aréologie permet de les attribuer au protoroman commun (ou protoroman stricto sensu), datable d’avant la séparation du protosarde et du protoroman continental (2e moitié du 2e siècle [?], cf. Straka,RLiR 20, 256 ; Dardel,RLiR 49, 268 ; Dardel,VRom 52 ; Liver,VRom 53 ; Stefenelli,LRL 2/1, 84). Leur chronologie relative peut être établie sur la base de considérations sémantiques : en effet, le sens « être possible » s’explique aisément par un élargissement sémantique à partir du sens « pouvoir », associé à la perte du sème [+animé] du sujet, tandis que le cheminement inverse serait beaucoup moins naturel.
Pour ce qui est du sens « être en mesure de vaincre (qn), surpasser (qn) » (III.)4, il se reconstruit sur la base du roumain (dacoroum. aroum.) et d’un ensemble de cognats de la Romania italo-occidentale (it. romanch. fr. frpr. cat. esp. ast. gal./port.). Il ne peut donc pas être projeté sur le protoroman commun, mais seulement sur une strate plus récente de la protolangue, le protoroman continental, datable entre l’individuation du protosarde et celle du protoroumain (3e s. [?], cf. Straka,RLiR 20, 258 ; RosettiIstoria 184 ; Stefenelli,LRL 2/1, 84). Ce sens se rattache directement à la première valeur sémantique de */ˈpɔt‑e‑/, « pouvoir », et s’explique comme le résultat d’une extension sémantique en rapport avec l’effet de la qualité exprimée par le verbe : au niveau cognitif, la capacité ou la puissance s’établissent par rapport à un étalon5.
Le corrélat exact du latin écrit de */poˈt‑e‑re/ v.semi-aux./tr., lat. potere, est seulement attesté très sporadiquement et très tardivement (dp. Itala [potebat ; fin 2e s. apr. J.-Chr.], TLL 10/2, 126), tandis que son corrélat approximatif posse est usuel durant toute l’Antiquité. Ce dernier est attesté dans les sens « pouvoir » (I.) et « être possible » (II.) depuis Plaute (* ca 254 – † 184, TLL 10/2, 127, 128), et dans le sens « être efficace (contre) » (+ ad), qui est à la base du sens « surpasser (qn) » (III.), depuis Cicéron (44 av. J.-Chr., OLD).
Du point de vue diasystémique (ou, pour utiliser la terminologie de Dardel,RLiR 73, du point de vue du latin global), protorom. */poˈt‑e‑re/, qui représente une forme analogique et innovatrice, encadrée dans la 2e conjugaison, doit donc être considéré comme un particularisme des variétés d’immédiat communicatif du latin qui n’a eu que très tardivement accès à l’écrit, tandis que lat. posse représente, de par son caractère irrégulier, un particularisme de ses variétés de distance communicative. Pour ce qui est du sémantisme du verbe, le sémème « surpasser (qn) » semble être également caractérisé par son appartenance aux variétés spontanées du latin global, même si ses racines remontent à un sens attesté.

Bibliographie. – MeyerLübkeGLR 1, § 70-74, 183-184, 306-307, 353, 404-405, 443 ; 2, § 124, 126, 248-251 ; 3, § 493 ; REW3 s.v. pŏsse ; LausbergSprachwissenschaft 1, § 170, 176-178, 253, 272 ; 2, § 367-368, 384, 565 ; Ernout/Meillet4 s.v. possum, potes, potuī, posse ; Merlo,RIL 86, 254 ; von Wartburg 1958 in FEW 9, 231b-236b, pŏsse ; HallPhonology 65 ; DOLR 2 (1992), 92 ; Faré n° 6682 ; SalaVocabularul 539 ; StefenelliSchicksal 79, 260-261 ; MihăescuRomanité 108, 113, 117, 135, 139, 143, 235.

Signatures. – Rédaction : Mihaela-Mariana Morcov ; Laure Grüner. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Valentin Tomachpolski. Romania du Sud-Est : Petar Atanasov ; Victor Celac. Italoromania : Giorgio Cadorini ; Maria Iliescu ; Marco Maggiore ; Paul Videsott. Galloromania : Jean-Paul Chauveau. Ibéroromania : Myriam Benarroch ; Ana Boullón ; Ana María Cano González ; José Antonio Saura Rami. Révision finale : Éva Buchi. – Contributions ponctuelles : Fabio Aprea ; Alessandro Aresti ; Francesco Crifò ; Cristina Florescu ; Xosé Lluis García Arias ; Yan Greub ; Günter Holtus ; Michela Russo ; Wolfgang Schweickard.

Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 18/12/2019. Version actuelle : 15/02/2020.

 


1. L’aroumain ne connaît presque plus l’infinitif verbal (cf. Saramandu,Tratat 460 ; Kramer,LRL 3, 429-430) ; la forme citationnelle est la première personne du singulier du présent.
2. Cette issue régulière a été évincée dans la langue commune par fr. pouvoir (dp. 1440, FEW 9, 231b ; Dauzat/Dubois/Mitterand). Nous suivons BourciezPhonétique 115 § 102 pour expliquer l’insertion de la consonne /-v-/ soit par la nécessité d’éviter l’hiatus, soit par une analogie avec les verbes devoir et avoir.
3. Cf. n. 2.
4. Dans ce sens, protorom. */ˈpɔt‑e‑/ est devenu un parasynonyme de protorom. */ˈsʊper‑a‑/ (cf. REW3 s.v. sŭpĕrāre ; von Wartburg 1964 in FEW 12, 435b-437a, sŭpĕrāre ; HallPhonology 255).
5. L’hypothèse (suggérée par Papahagi in DDA2) d’un calque sémantique à partir de lat. potiri v.tr. « soumettre (qn) à son autorité, dompter » (verbe déponent ; dp. Névius [* ca 270 – † 201 ], OLD), potire (verbe régularisé ; dp. Plaute [* ca 254 – † 184 av. J.-Chr.], OLD), dépourvus de corrélats en protoroman (Ø REW3 ; Ø FEW), nous semble moins probable, dans la mesure où le sémantisme de ce verbe (« dompter ») n’est pas identique à celui qu’il convient d’expliquer (« surpasser »). De plus, cette hypothèse oblige à mettre le dégagement du nouveau sens sur le dos de la petite frange de la population qui avait accès aux variétés de distance communicative du latin global. Enfin, un bisémisme « pouvoir » ~ « surpasser » (ou sens similaire) s’enregistre aussi dans d’autres langues indo-européennes, ainsi protogerm. *mag- v. « pouvoir ; mesurer ses forces (avec) », alb. mund v. « pouvoir ; vaincre » (cf. ÇabejStudime 5, 380-381 ; DemirajAlbanisch 281, 282) ou encore ukr. mohty « pouvoir » > peremohty « gagner » (cf. DatSemShifts), de sorte que le recours à un calque n’est pas nécessaire.

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