C.N.R.S.
 

DÉRom en anglais
 
Dictionnaire Étymologique Roman
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*/βiˈn‑aki‑a/ s.f. « produit du pressurage du raisin »

I. Singulier : */βiˈn‑aki‑a/
*/βiˈn‑aki‑a/ > sard. vináθθa s.f. « produit du pressurage du raisin, marc de raisin » (DES ; PittauDizionario 1 ; AIS 1338)12, it. vinaccia (dp. ca 1350, DELI2 ; AIS 1338)34, romanch. vinatscha « fruit d’un arbuste buissonnant épineux (Berberis vulgaris L.), fruit de l’épine-vinette » (HWR)5, aost. vinace « marc de raisin » (FEW 14, 479b)67, occit. vinassa « boisson alcoolisée obtenue par distillation de la râpe, marc de vin » (dp. 1442, Affre,RLaR 15, 15 ; Pansier 3 ; Pansier 5 ; Levy ; FEW 14, 479b ; ALF 1620 p 776, 787, 833 [« marc de raisin »] ; ALLOr 882, 887 [bináso « id. ; marc de vin »] ; MoutierDialectes [vinasso « lie de vin ; gros vin »]), gasc. binasso «  lies grossières éliminées par soutirage à l’issue de la fermentation alcoolique du moût de raisin, dans le processus de fabrication de l’armagnac ; gros vin » (FEW 14, 479b-480a), cat. vinassa « partie solide du marc de raisin, comprenant les pellicules, les pépins et les rafles, râpe » (dp. fin 13e s., DECat 9, 252 ; ALF 1620 p 795 [« marc de raisin »] ; DCVB)8.

II. Plurale tantum : */βiˈn‑aki‑e/
*/βiˈn‑aki‑e/ > végl. [viˈnuɔts] s.f.pl. « marc de raisin » (BartoliDalmatico 170, 235, 334)9, istriot. [viˈnaθe] (AIS 1338 p 397, 398 ; ILA n° 1305), itsept./flor. vinacce (dp. 1476 [leuinaccie], PlinioVolgLandino 1476 18, 31 ; FioravantiCompendio 108 [« résidu de la vinification »] ; AIS 1338 [surtout piém. sept. lomb. sept. trent.] ; GDLI).

Commentaire. – À l’exception du roumain, du frioulan, du ladin, du français, de l’espagnol et du galégo-portugais, toutes les branches romanes présentent des cognats conduisant à reconstruire, soit directement, soit à travers un type morphosyntaxique évolué, protorom. */βiˈn‑aki‑a/ s.f. « produit du pressurage du raisin, marc de raisin »10. */βiˈn‑aki‑a/ est formé au moyen du morphème dérivationnel */‑ˈaki/, à valeur augmentative et péjorative11, sur la base du substantif */ˈβin‑u/12.
Les issues romanes ont été subdivisées ci-dessus selon les deux valeurs de quantification dont elles relèvent : singulier (I.) et plurale tantum (II.). Les pluralia tantum sont localisés principalement dans une zone marginale qui s’étire en bande entre la Dalmatie et le Piémont, recouvrant les domaines du végliote et de l’istriote et, au-delà d’une solution de continuité correspondant aux domaines du vénitien et du frioulan, une partie des domaines dialectaux de l’Italie septentrionale et du toscan, alors que le singulier se rencontre ailleurs (sarde, italien, romanche [dans un sens secondaire], francoprovençal, occitan, gascon, catalan).
Le corrélat du latin écrit du type I., uinacea/uinacia, -ae s.f. « marc de raisin », est connu depuis Varron (* 116 – † 27, Gaffiot), celui du type II., uinaceae s.f.pl. « id. », n’est attesté que chez Caton (* 234 – † 149, OLD).

Bibliographie. – MeyerLübkeGLR 1, § 223-224, 308, 350, 405, 450, 513 ; 2, § 414 ; Salvioni,RIL 32, 158 ; REW3 s.v. vīnāceus ; Ernout/Meillet4 s.v. uīnum ; von Wartburg 1960 in FEW 14, 479b-480a, vīnum ; LausbergSprachwissenschaft 1, § 175, 253 ; 2, § 301, 405, 467-470 ; Faré n° 9337 ; HallPhonology 24, 52, 59, 84, 149 ; MihăescuRomanité 243.

Signatures. – Rédaction : Jérémie Delorme. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Jean-Pierre Chambon. Romania du Sud-Est : Victor Celac ; Cristina Florescu ; Maria Iliescu. Italoromania : Giorgio Cadorini ; Rosario Coluccia ; Wolfgang Schweickard. Galloromania : Jean-Paul Chauveau. Ibéroromania : Maria Reina Bastardas i Rufat ; Myriam Benarroch. Révision finale : Éva Buchi. – Contributions ponctuelles : Marta Andronache ; Simone Augustin ; Pascale Baudinot ; Ana Boullón ; Xosé Lluis García Arias ; Xavier Gouvert ; Yan Greub ; Günter Holtus ; Stella Medori ; Peter Nahon.

Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 27/10/2010. Version actuelle : 09/06/2023.

 


1. Nous ne suivons pas DES, qui rattache cette donnée à “vinacea, pl. coll. di vinaceum” : les plus anciennes attestations de lat. uinacea/uinacia n.pl. et uinacea/uinacia f.sg. étant contemporaines (chez Varron), l’hypothèse de la féminisation d’un ancien neutre paraît gratuite.
2. Il semble douteux de considérer dacoroum. vinaţă s.f. « marc de raisin » (1813, Înv. Vin. 53, 109 [attestations suivies des gloses synonymiques hoaspe cu codite et hoaspe et relevées dans un texte traduit par Petru Maior, membre du courant relatinisant de Transylvanie], cf. DLR s.v. vinaţ ; MDA s.v. vinaţ) comme héréditaire, les attestations de ce lexème étant rares (six occurrences dans le même texte) et suspectes : il semble s’agir d’un latinisme d’auteur dont la forme a été refaite sur le modèle de lexèmes héréditaires et de dérivation interne (cf. UrsuFormarea 47). Du reste, le dacoroumain dispose de plusieurs termes pour désigner le marc de raisin, dont celui, largement répandu, de tescovină s.f. (dp. 1696, Tiktin3 ; Cioranescu n° 8579 ; DLR ; MDA ; ALR SN 237 ; ALRM SN 160). – Quant à dacoroum. vinaţă s.f. « mauvais vin » (Nuţă,ALIL 26, 148), des raisons sémantiques nous incitent à y voir un dérivé de vinaţ s.n. « (variété de) vin » (dp. 1756, < protorom. */βiˈn‑aki‑u/, DLR).
3. It. vinaccia est massivement représenté dans les dialectes centraux et méridionaux mais n’apparaît que sporadiquement dans les dialectes septentrionaux, où le sens de « marc de raisin » s’attache majoritairement à des pluralia tantum (cf. ci-dessous II.) ou à d’autres lexèmes (notamment grappa s.f. et rapa s.f.).
4. Frioul. vinàcie ([viˈnakje]) s.f. « plante potagère de la famille des Polygonacées aux feuilles allongées vert foncé dont le goût est acide (Rumex acetosa L.), oseille commune » (PironaN2 ; AIS 627 p 329), ne continue pas régulièrement protorom. */βiˈn‑aki‑a/, dont l’issue serait *[viˈnatʃe].
5. Étymologiquement, « plante comestible dont la saveur acide rappelle celle du raisin pressuré ».
6. Le fait que les seules attestations francoprovençales rattachables à protorom. */βiˈn‑aki‑a/ soient valdôtaines pourrait incliner à les analyser comme des emprunts à l’italien si leur phonétisme n’était pas conforme aux attendus d’évolutions régulières (vinace à Aoste, vənátsa à Brusson, cf. le traitement des continuateurs valdôtains de protorom. */ˈɡlaki‑a/ dans KellerÉtudes tableau 19) et si les unités italiennes dont on serait tenté de postuler le rôle de sources n’étaient pas majoritairement représentées, aux confins du domaine valdôtain, par des pluralia tantum (cf. AIS 1338 p 114, 129, 133, 137, 144, 155).
7. Nous suivons FouchéPhonétique 1, 912, qui donne fr. vinasse comme un emprunt à l’occitan (qu’il situe par erreur au 19e siècle). Nous pensons que vinasse a d’abord été emprunté par le français régional du Languedoc à l’occitan, dans le sens de « marc pressuré et lie recueillie au fond des récipients vinaires » (Carcassonne 1592, Cayla ; cf. Aude [bi’naso], FEW 14, 479b), et que c’est à partir de ce régionalisme que le terme s’est implanté au 18e siècle dans le français technique : sa plus ancienne attestation technique, dans le sens de « liquide trouble provenant d‘un vin à demi aigre et qui sert à la préparation du vert-de-gris », se rencontre en effet dès 1753 dans un mémoire dont l’auteur, membre de la Société Royale des Sciences de Montpellier, décrit la préparation du vert-de-gris au moyen de vinasse et présente cette technique comme particulière à Montpellier et sa région (Montet,HARS 1750 > Enc 17, 305 > Trév8, cf. FEW 14, 479b-480a). Cf. aussi GebhardtLehngut 251, 411 : les sources lexicologiques qu’il compile font toutes remonter la première attestation de fr. vinasse à Enc 17, 305, mais seuls Rob et PRob décèlent l’occitanisme. On notera par ailleurs que la technique est décrite dès la fin du 16e siècle et présentée comme typiquement française (“et que sto artificio si fa piu in Francia, che in altri luoghi, per la gran quantità del vino & vinacce [« résidu de la vinification »] che hanno”, FioravantiCompendio 108).
8. Il apparaît qu’esp. vinaza (dont DCECH 5, 822 fait remonter la première attestation à 1843 [DRAE9] et ne décèle pas le caractère d’emprunt) procède de deux voies d’emprunt, depuis le catalan et le français. Esp. vinaza « marc de raisin » (ou « râpe » ?), de cat. vinassa, n’est pas attesté avant 1626, dans un ouvrage traduit du catalan (AgustinSecretos 502 [vinassa]). Esp. vinaza « liquide trouble provenant d‘un vin à demi aigre et qui sert à la préparation du vert-de-gris », de fr. vinasse, est, lui, attesté dès 1795, dans une traduction des Éléments de l’art de la teinture (BertholletElementos 237). Le traducteur précise en note qu’on appelle vinaza, à Montpellier, “el vino que ha empezado á agriarse, y al líquido que resulta despues de haber fermentado el vino bueno con el escobajo de la uva” ; cette annotation témoigne des scrupules du traducteur qui, s’il n’envisage peut-être pas esp. vinaza, de même sens, comme un néologisme complet (esp. vinaza est attesté depuis 1626), le traite à tout le moins comme un néologisme sémantique.
9. ElmendorfVeglia donne végl. [viˈnuɔts] s.pl. comme masculin et comme un emprunt à it. vinacce s.f.pl. BartoliDalmatico 170, 235, 334, qui, attestation à l’appui, le donne comme féminin, est plus fiable ; mais il regarde aussi ce lexème comme un emprunt (au vénitien), point de vue que la documentation ne vient confirmer en aucune manière. Protorom. */βiˈn‑aki‑e/ n’étant pas continué en vénitien (cf. AIS 1338), les emprunts lexicaux faits par le végliote aux dialectes italiens ou à l’italien littéraire ayant transité par le vénitien (cf. BartoliDalmatico 167 § 143) et la forme [viˈnuɔts] n’étant pas moins conforme aux attendus d’une évolution phonétique régulière (cf. BartoliDalmatico 392 § 286, 431 § 431) qu’aux effets d’une végliotisation du phonétisme de lexèmes empruntés au vénitien (cf. BartoliDalmatico 170 § 144), on ne peut que difficilement justifier l’attribution de [viˈnuɔts] à un emprunt.
10. Nous nous opposons à FEW 14, 479b et n. 9 et à DELI2, qui postulent des formations idioromanes là où nous voyons une dérivation protoromane. Mais des considérations d’ordre sémantique nous conduisent à écarter fr. vinasse s.f. « gros vin » (dp. 1832, TLF) et port. vinhaça (dp. 15e s., Houaiss ; DELP3). (1) Leur signifié étant hiérarchiquement lié, selon une relation d’hyponyme à hyperonyme, au sens de « boisson, généralement alcoolisée, résultant de la fermentation du raisin ou du jus de raisin, vin », (2) une connotation défavorable (« gros vin ») s’attachant à ce signifié, et (3) en l’absence d’un lexème héréditaire dont le sens de « marc de raisin » fournirait le point de départ d’une dérivation sémantique aboutissant au sens de « gros vin » (comme en occitan et en gascon, cf. ci-dessus I. 1.), ces unités gagnent à être analysées comme des dérivés idioromans formés, au moyen de continuateurs du suffixe protorom. */‑ˈaki‑a/, à valeur péjorative, sur la base d’un substantif continuateur de protorom. */ˈβin‑u/ « vin » (cf. MeyerLübkeGRS 2, § 414). Quant à aoccit. vinaci s. « vin médiocre obtenu par pressurage de la râpe, une fois soutiré le vin issu de la fermentation alcoolique du marc de raisin, vin de presse » (mil. 14e s., Raynouard), son genre n’est pas décelable, mais on peut y voir, en s’inspirant de RonjatGrammaire 3, 351 (qui traite les exemples de bóusàssi, brancàci et degoulàssi), un emprunt savant au latin, de genre masculin.
11. Cf. MeyerLübkeGLR 2, § 414 ; MaurerGramática 253 ; Leumann1 § 172 I C ; VäänänenIntroduzione § 186.
12. Des raisons sémantiques et morphologiques nous font en revanche rejeter la proposition d’Ernout/Meillet4 s.v. uīnum : “uīnāceus : de raisin ; u. acinus ; d’où uīnācea f. : marc de raisin”.

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