*/ɪmprumuˈt‑a‑re/ > dacoroum. împrumuta v.ditr. « obtenir (qch.) (de qn) pour un temps déterminé, emprunter ; mettre (qch.) à la disposition (de qn) pour un temps déterminé, prêter » (dp. 1500/1510 [împrumuteadză prés. 3], Psalt. Hur.2 118 ; DA/DLR ; EWRS ; Candrea-Densusianu n° 827 ; Cioranescu n° 4351 ; MDA ; ALR SN 16 p 192, 219), aroum. mprumút (Pascu 1, 120 ; DDA2 ; BaraAroumain)1, alig. imprumuar (av. 1311 [inpremui prés. 2] – 1346/1355, TLIOCorpus), piém./lomb. ˹imprümüdar˺ (dp. 1300/1310 [alomb. imprumuda prés. 3], TLIOCorpus ; BellettiBestiarioErbario 79, 247)2, romanch. impermidar (dp. 1848, Giger in DRG 8, 305)3, fr. emprunter (dp. 1125/1150 [« prêter »], TLF ; Gdf ; GdfC ; FEW 4, 606ab ; TL ; ANDEl ; ALFSuppl 72)4, frpr. ˹inprontà˺ « emprunter » (dp. 1321 [empromtiet prét. 3], Guigue,R 35, 432 = HafnerGrundzüge 81 ; Liard in GPSR 6, 339-340 ; FEW 4, 606ab ; DuraffourGlossaire n° 3571), occit. enprumtar (dp. 1220/1269, Levy ; FEW 4, 606ab ; Pansier 3), gasc. emprountà (dp. 1528/1529 [enprontet prét. 3], Parfouru,RevG 30, 489 ; FEW 4, 606b ; Palay).Commentaire. – Le roumain, l’italien septentrional, le romanche et les parlers romans de la Gaule présentent des cognats conduisant à reconstruire protorom. */ɪmˈprumut‑a‑/ v.ditr. « obtenir (qch.) (de qn) pour un temps déterminé, emprunter ; mettre (qch.) à la disposition (de qn) pour un temps déterminé, prêter ». Protorom. */ɪmˈprumut‑a‑/ a été en concurrence avec */ˈprεst‑a‑/ et */ɪm‑ˈprεst‑a‑/, selon des modalités qui ont donné lieu à une situation complexe au sein des idiomes romans. En roumain, qui est la seule branche (à part le végliote, qui ne connaît pas non plus de continuateur de */ɪmˈprumut‑a‑/) où ces deux concurrents n’ont pas laissé de traces (mais qui a dû les connaître à date prélittéraire, cf. ci-dessous), les issues de */ɪmˈprumut‑a‑/ se sont généralisées dans les sens réciproques inverses « emprunter » et « prêter ». Ces deux valeurs sémantiques sont connues aussi dans les domaines italien et romanche, mais sans exclusive pour « prêter », qui reste aussi attaché aux issues de */ˈprεst‑a‑/ et */ɪm‑ˈprεst‑a‑/. Pour ce qui est des parlers romans de la Gaule, leurs continuateurs de */ɪmˈprumut‑a‑/ ont eu tendance à se spécialiser dans le sens « emprunter » ( cf. n. 4), le sens « prêter » ayant été assumé par les issues de protorom. */ˈprεst‑a‑/. Cette situation complexe dans les idiomes romans contemporains incite à reconstruire les deux sens opposés « emprunter » et « prêter » pour protorom. */ɪm‑ˈprumut‑a‑/ et donc à y voir un cas d’énantiosémie. Schiaffini,ID 6, 39-41 propose de considérer la diffusion de protorom. */ɪmˈprumut‑a‑/ comme antérieure à celle de son concurrent */ˈprεst‑a‑/, sur la base de l’absence de ce dernier en roumain : */ˈprεst‑a‑/ appartiendrait à une couche postérieure à la fin des contacts historiques entre la Dacie et les autres régions de l’Empire romain. Cette hypothèse n’est toutefois pas compatible avec la coprésence d’un continuateur de */ˈprεst‑a‑/ en sarde et dans plusieurs idiomes de la Romania continentale, qui incite à reconstruire ce verbe pour l’époque du protoroman commun. En revanche, l’existence de protorom. */ɪmˈprumut‑a‑/ ne peut pas être affirmée pour une époque aussi ancienne, de sorte que ce verbe est plutôt à analyser comme une innovation postérieure à la diffusion de */ˈprεst‑a‑/, qui n’a plus réussi à s’imposer également dans toutes les régions latinophones. La situation actuelle des parlers romans s’interprète donc comme le résultat d’une ancienne coexistence, du moins pendant une certaine période, qui aura abouti à des résultats différenciés selon les différentes zones de la Romania : généralisation de */ɪmˈprumut‑a‑/ (roumain), coexistence de */ɪmˈprumut‑a‑/ et de */ˈprεst‑a‑/ avec des spécialisations sémantiques (variétés romanes de la Gaule), marginalisation (parlers italiens et romanche) ou bien disparition totale de */ɪmˈprumut‑a‑/ au profit de ses lexèmes concurrents (végliote, istriote, variétés romanes de la péninsule Ibérique). Le corrélat du latin écrit, impromutuare v.ditr., n’est connu que depuis les Leges Visigothorum (6 e s., TLL 7/1, 695) et seulement dans le sens « prêter » 5. La comparaison entre les résultats de la reconstruction et les données du latin écrit fait apparaître une différence frappant la voyelle accentuée (*/ˈu/ vs. <o>). Une reconstruction interne sur la base du critère de la directionalité amène à penser que */ˈo/ représente l’état originel et que */ˈu/ s’est développé sur la base d’une assimilation régressive à distance qui aura trouvé son origine dans les formes arhizotoniques du verbe ( cf. TLF ; mais cf. aussi MeyerLübkeGLR 1, § 386 et FEW 4, 607a) 6. Bibliographie. – MeyerLübkeGLR 1, § 45-48, 118, 332, 341-349, 352, 386, 443, 449, 494 ; 2, § 189 ; REW3 s.v. *imprōmŭtŭare ; Ernout/Meillet4 s.v. mūtō ; Merlo,RIL 81, 60 ; von Wartburg 1951 in FEW 4, 606a-608a, ĭmprōmūtŭare ; LausbergLinguistica 1, § 179-182, 184, 253, 284-296, 378, 404, 415, 419-421 ; 2, § 795 ; MihăescuRomanité 283 ; LEIMatériaux. Signatures. – Rédaction : Marco Maggiore. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Pierre Swiggers ; Valentin Tomachpolski. Romania du Sud-Est : Victor Celac. Italoromania : Paul Videsott. Galloromania : Jean-Paul Chauveau. Ibéroromania : Ana María Cano González ; Steven N. Dworkin. Révision finale : Éva Buchi. – Contributions ponctuelles : Pascale Baudinot ; Francesca De Blasi ; Jérémie Delorme ; Yan Greub ; Ulrike Heidemeier ; Maria Iliescu. Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 27/05/2014. Version actuelle : 15/05/2020.
1. L’aroumain ne connaît presque plus l’infinitif verbal ( cf. Saramandu,Tratat 460 ; Kramer,LRL 3, 429-430) ; la forme citationnelle est la première personne du singulier du présent. Cette dernière, de même que son cognat dacoroumain ( împrumut), présupposent un déplacement d’accent qui, étant donné l’isolement du phénomène, ne doit pas remonter au-delà du protoroumain ; son origine pourrait résider dans une analogie avec le continuateur de protorom. */ˈmut‑a‑/. 2. It. improntare « emprunter » (dp. 1260 [atosc. ’nprontare], TLIOCorpus ; GDLI) est emprunté à fr. emprunter ( cf. DEI ; HopeBorrowing 107 ; CastellaniGrammStor 118 ; CellaGallicismi 440-441). La vitalité du modèle galloroman dans les parlers italoromans médiévaux se déduit entre autres de la présence du syntagme afr. a emprunt dans un document latin de 1221 rédigé en Calabre ( cf. MosinoStoria 1, 165). La chronologie des formes et les évolutions phonétiques observables (la chute de la voyelle intertonique n’étant pas régulière) empêchent aussi de considérer comme héréditaire itmérid. ˹ mpruntari˺/˹ mbrontà˺ « emprunter ; prêter » (dp. 1302/1337 [asic. inpruntarj], TLIOCorpus ; VDS ; NDC ; VS ; DeGiovanniStoria 62), tandis que camp./cal./sic. mprustà « id. » ( NDC ; VS ; AIS 277 p 721, 729, 762, 765, 771, 791, 821) s’explique par un croisement entre les types ˹ mpruntari˺ et ˹ imprestare˺ ( cf. */ɪm‑ˈprεst‑a‑/). 3. La forme du cognat romanche doit être considérée en parallèle avec les variantes alig. ˹ impremuar˺ et piém./lomb. ˹ impremüdà˺, ˹ impermüdà˺ « id. » (dp. 1300/1310 [alomb. impremuda prés. 3], TLIOCorpus ; LSI) : pour expliquer ces développements, il n’est pas nécessaire de supposer des protovariantes **/ɪmˈpermut‑a‑/ ou **/ɪmˈpremut‑a‑/, car ils sont probablement le résultat d’un phénomène plus tardif (qui a pu se produire dans différentes zones de la Romania) de confusion entre les préfixes pro-, pre- et per- ( cf. Salvioni 4, 167) ou bien de l’influence d’it. permutare « échanger » (dp. 1282, TLIOCorpus ; GDLI). 4. Fr. emprunter ne présente aujourd’hui plus que le sens « emprunter », tandis que la langue ancienne connaissait aussi le sens « prêter », qui ne semble plus être attesté après 1434/1438 ( PelCharlF 194 ; FEW 4, 606b), mais survit indirectement dans les emprunts dans les dialectes de l’Italie du Sud ( cf. n. 2). 5. Lattard. impromutuare s’analyse comme un dérivé en in- de lat. promutuus adj. « perçu d’avance (argent) », connu depuis César (* 100 – † 44, TLL 7/1, 695 ; 10/2, 1909). Par ailleurs, le type impromutare, qui se rattache mieux à la protoforme reconstruite, est attesté dans un glossaire latin transmis par des manuscrits dont le plus ancien date du 9 e siècle ( CGL 4, 238). 6. Il n’est pas nécessaire de postuler une base protorom. **/ˈprumut‑a‑/ pour expliquer les attestations sporadiques de roum. dial. prumuta v.tr. « emprunter » ( DA/DLR) et d’oïl. prunter v.tr. « id. » (dp. hap. 13 e s. [ prompter], FEW 4, 607b) : il s’agira dans les deux cas de rares variantes aphérétiques indépendantes des issues de */ɪmˈprumut‑a‑/ (en outre, au moins le verbe français pourrait résulter de la dynamique d’interférence entre les continuateurs de */ɪmˈprumut‑a‑/, */ˈprεst‑a‑/ et */ɪm‑ˈprεst‑a‑/, cf. FEW 4, 607b). |