C.N.R.S.
 

DÉRom en anglais
 
Dictionnaire Étymologique Roman
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*/s‑per‑ˈlaβ‑a‑/ v.tr. « nettoyer à fond (qch./qn) avec de l’eau ou un autre liquide »

I. Type originel : */s‑per‑ˈlaβ‑a‑/
*/s‑per‑laˈβ‑a‑re/ > cal. centr.-mérid. sprullavari v.tr. « diluer (un bouillon) » (Alessio,AFLBari 1, 44 ; NDC [Reggio Calabria])1, sic. spirlavari « détremper (une substance) dans un liquide, diluer » (hap. 17e s., VS)2.

II. Type assimilé : */s‑pelˈlaβ‑a‑/
*/s‑pellaˈβ‑a‑re/ > dacoroum. spăla v.tr. « nettoyer (qch./qn) avec de l’eau ou un autre liquide, laver » (dp. 1500/1510, Psalt. Hur.2 1, 90 ; Tiktin3 ; EWRS ; DA/DLR ; Cioranescu n° 8039 ; MDA), istroroum. spelå (MaiorescuIstria 149 s.v. spălà ; Byhan,JIRS 6, 347-348 ; PuşcariuIstroromâne 3, 134, 325 ; SârbuIstroromân 278 ; FrăţilăIstroromân 1, 282 ; KovačecRječnik 179-180), méglénoroum. spilári (Candrea,GrS 7, 201 ; CapidanDicţionar ; WildSprachatlas 436 p 1-7 ; AtanasovMeglenoromâna 59, 283 ; ALDM 673), aroum. spel (dp. 1770 [σπέλου], KavalliotisProtopeiria n° 973 ; Pascu 1, 106 ; DDA2 ; BaraAroumain)3, cal. sept. ˹spaddavare˺ « rincer (une chaudière) » (Alessio,AFLBari 1, 44 ; NDC [Longobucco]), sic. nord-orient. spillavari « nettoyer à fond (qch./qn) avec de l’eau ou un autre liquide, laver à fond » (VS), sic. mérid. spillivari « immerger (des éponges) dans l’eau de mer (afin de les nettoyer) » (VS [Lampédouse]).

Commentaire. – Les quatre grandes variétés dialectales du roumain et deux dialectes de l’Italie méridionale (le calabrais et le sicilien) présentent des cognats conduisant à reconstruire, soit directement, soit à travers un type évolué du point de vue phonétique, protorom. */s‑per‑ˈlaβ‑a‑/ v.tr. « nettoyer à fond (qch./qn) avec de l’eau ou un autre liquide, laver à fond »4. Protorom. */s‑per‑ˈlaβ‑a‑/ s’analyse comme un dérivé de */ˈlaβ‑a‑/ (cf. */ˈlaβ‑e‑/ ~ */ˈlaβ‑a‑/ II.) construit à l’aide des préfixes */(ek)s‑/ et */per‑/, probablement utilisés à l’origine en fonction expressive, pour intensifier le sémantisme du verbe simple. La juxtaposition préfixale est un phénomène bien connu d’hypercaractérisation morphologique du protoroman (cf. CooperFormation 289-294 ; Panagl,LatVulg 5, 53 ; García-Hernández,ÉvolutionsLatin 173-174), à mettre en rapport avec une perte générale de fonctionnalité sémantique des préfixes (cf. LópezMoreda,ACLL 9, 962-968 ; Haverling,LatVulg 5, 247 ; IliescuVaria 21).
Les issues romanes ont été subdivisées selon les deux types phonologiques dont elles relèvent : on a observé une distinction entre le type originel */s‑per‑ˈlaβ‑a‑/ (ci-dessus I.) et un type secondaire, caractérisé par l’assimilation régressive du groupe */-rl-/ originel, */s‑pelˈlaβ‑a‑/ (ci-dessus II.). Le type I. n’est continué qu’en calabrais et en sicilien, tandis que le type II. se laisse reconstruire à partir de la comparaison entre les issues roumaines et celles relevées dans certaines variétés de la Calabre et de la Sicile. La nécessité de postuler le type II. repose sur les règles de phonologie historique des variétés roumaines, dont le développement /-l-/ présuppose un point de départ */‑ll‑/ au lieu de */‑rl‑/ (cf. Tiktin3).
La distribution actuelle des cognats romans et les sens qu’ils revêtent incitent à penser que le type */s‑per‑ˈlaβ‑a‑/, qui aura eu à l’origine une valeur sémantique plus intense par rapport au verbe simple */ˈlaβ‑a‑/ (« laver à fond »), a subi ensuite un processus de désémantisation qui l’a porté à concurrencer son ancienne base dans le sens « laver ». Cette situation de coexistence a abouti à deux résultats différents : en roumain, les issues de la base */s‑per‑ˈlaβ‑a‑/ ont fini par évincer dans la langue courante les continuateurs de */ˈlaβ‑a‑/, relégués à des emplois diastratiquement marqués, tandis que les rares continuateurs calabro-siciliens de */s‑per‑ˈlaβ‑a‑/ ont eu tendance à se spécialiser dans des sens restreints et parfois liés à des aspects particuliers de la vie matérielle. Seules certaines variétés siciliennes sembleraient avoir maintenu le sens originel « laver à fond » (cf. ci-dessus II.). En outre, l’absence totale de continuateurs dans les autres domaines romans pourrait conduire à considérer protorom. */s‑per‑ˈlaβ‑a‑/ comme une innovation du protoroman régional oriental (‛italo-balkanoroman’) assez tardive, mais certainement antérieure à la séparation du protoroumain, qui n’a jamais atteint les autres régions de la Romania.
Le latin écrit de l’Antiquité ne connaît pas de corrélat de protorom. */s‑per‑ˈlaβ‑a‑/ : du point de vue diasystémique (latin global), ce verbe est donc à considérer comme un oralisme (probablement relevant d’une aire limitée) qui n’a eu aucun accès à la variété écrite.

Bibliographie. – MeyerLübkeGLR 1, § 223, 342, 347, 405, 417-418, 446, 464 ; 2, § 189, 604, 611 ; Puşcariu,ZrP 28/2, 618 ; REW3 s.v. *expĕrlavāre ; Ernout/Meillet4 s.v. lauō ; Alessio,AFLBari 1, 44 ; LausbergLinguistica 1, § 173-175, 292-296, 308, 373, 408, 494-499 ; SalaVocabularul 570 ; MihăescuRomanité 117, 147, 251 ; LEIMatériaux.

Signatures. – Rédaction : Marco Maggiore. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Valentin Tomachpolski. Romania du Sud-Est : Petar Atanasov ; Victor Celac ; Cristina Florescu ; Maria Iliescu ; August Kovačec. Italoromania : Giorgio Marrapodi. Galloromania : Jean-Paul Chauveau ; Jérémie Delorme. Ibéroromania : Ana Boullón ; Steven N. Dworkin. Révision finale : Éva Buchi. – Contributions ponctuelles : Louis Albrecht ; Pascale Baudinot ; Francesca De Blasi ; Yan Greub ; Ulrike Heidemeier ; Mélanie Kempf.

Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 30/07/2016. Version actuelle : 10/08/2023.

 


1. Le cognat calabrais a subi la métathèse de */-r-/ ainsi que la labialisation de la voyelle prétonique et la gémination compensative du */-l-/.
2. Dans les variétés contemporaines, on ne trouve plus que le dérivé par transcatégorisation sic. spirlavatu adj. « érodé par l’eau (sol) » (Traina ; Alessio,AFLBari 1, 44).
3. L’aroumain ne connaît presque plus l’infinitif verbal (cf. Saramandu,Tratat 460 ; Kramer,LRL 3, 429-430) ; la forme citationnelle est la première personne du singulier du présent.
4. Protorom. */s‑per‑ˈlaβ‑a‑/ a été emprunté par alb. shplaj/shpëlaj v.tr. « rincer » (IEEDAlbanian).

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