Marine Borel

Marine Borel

Nous avons rencontré Marine Borel à l’occasion de la remise du Grand prix de linguistique et de philologie 2024 de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique en mars 2025, pour son livre Les formes verbales surcomposées en français paru en 2024 aux éditions Peter Lang.

 

Photo Marine Borel

Tout d’abord, félicitations !
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre travail ?

Marine Borel : Cet ouvrage est la version retravaillée de ma thèse de doctorat, qui portait, comme l’indique son titre, sur les formes verbales dites « surcomposées » en français. Il s’agit des formes verbales qui comportent un élément auxiliaire de plus que les formes composées – comme par exemple j’ai eu fait ou j’avais eu fait. Dans mon livre, je montre qu’il existe en fait deux paradigmes distincts de formes surcomposées. Pour illustrer cela, prenons l’exemple du passé surcomposé. Il existe d’une part un passé surcomposé dit « standard », qui est attesté dans l’ensemble du monde francophone, qui se trouve le plus souvent dans des subordonnées temporelles et qui peut être considéré comme un homologue du passé antérieur. Par exemple : « Lorsqu’elle a eu mangé, elle est allée se coucher. » Et il existe d’autre part un passé surcomposé dit « régional », qui n’est utilisé que dans les régions où on parlait autrefois des dialectes occitans ou francoprovençaux et qui a une valeur qu’en linguistique on appelle « expérientielle » – ce qui signifie que ces formes régionales peuvent toujours être glosées par la formule ‘il est déjà arrivé que’. Par exemple, l’énoncé (authentique) « J’ai eu mangé de la marmotte à un anniversaire » signifie ‘il m’est déjà arrivé de manger de la marmotte à un anniversaire’.

Ces formes « régionales » semblent plutôt exotiques à des oreilles lorraines. Mais elles sont, comme vous le dites, bien attestées dans le Sud de la France et dans le domaine francoprovençal, dont fait partie la Suisse romande, d’où vous êtes originaire.

MB : Oui, même si ces formes étonnent celles et ceux qui ne les emploient pas, la région dans laquelle elles sont utilisées est loin d’être marginale : le domaine d’oc couvre tout le tiers Sud de la France, dans lequel se trouvent notamment les villes de Marseille, de Toulouse, de Nice, de Montpellier, de Bordeaux, de Perpignan et de Limoges ; quant au domaine francoprovençal, il correspond à la zone, à l’Est, dans laquelle se trouvent Lyon, Saint-Étienne et Grenoble et, bien sûr, la Suisse romande – où elles sont particulièrement vivaces. En Romandie, on les entend tous les jours, non seulement avec l’auxiliaire « avoir » mais aussi avec l’auxiliaire « être ». Et pour celles et ceux qui ne les utilisent pas (comme les Lorrain·e·s), les formes avec « être » semblent encore plus exotiques que celles avec « avoir », puisqu’elles se construisent sur le modèle de je suis eu parti·e – et non sur celui de j’ai été parti·e comme c’est le cas des formes dites standard. Voici deux exemples authentiques recueillis en Suisse romande : « Il est eu venu boire l’apéro chez moi » et « Tu es eu allée à Nancy pour le voir ? ». Ce dernier exemple a été produit par une amie qui me demandait s’il m’était déjà arrivé d’aller à Nancy pour rencontrer celui qui était à l’époque mon directeur de thèse, Denis Apothéloz.

Pouvez-vous nous en dire plus votre parcours et sur ce qui vous a amenée à Nancy ?

MB : Je suis née en 1987, j’ai grandi en Suisse romande, dans le canton de Neuchâtel, puis j’ai fait des études de langue et de littérature françaises à l’Université de Fribourg. Après mes études, j’ai décidé de faire une thèse de doctorat en linguistique française et, alors que je réfléchissais à un sujet de recherches, je suis tombée sur la thèse d’un linguiste suisse, Maurice Cornu, publiée en 1953, qui portait précisément sur les formes verbales surcomposées. J’ai lu cette thèse d’une seule traite et j’ai tout de suite su que je voulais consacrer mes recherches à ce sujet. J’ai aussitôt lu tout ce qui était à disposition sur cette question. C’est ainsi que j’ai découvert les travaux de Denis Apothéloz, également Suisse d’origine, professeur de linguistique (aujourd’hui professeur émérite) à l’Université de Lorraine et membre de l’ATILF, des travaux qui ont marqué un pas décisif dans la compréhension des formes surcomposées régionales. Je l’ai donc contacté pour lui demander s’il acceptait de co-diriger ma thèse dans le cadre d’une cotutelle de thèse entre l’Université de Fribourg et l’Université de Lorraine. Et il s’est tout de suite montré enthousiaste.

C’est donc dans ce cadre que vous êtes venue passer une année à Nancy et que vous avez été rattachée comme doctorante à l’ATILF ?

MB : Oui, j’ai eu la chance d’obtenir deux soutiens financiers qui m’ont permis de venir régulièrement à Nancy et d’y passer une année : la bourse de mobilité pour doctorant·e·s du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) et une contribution financière à la cotutelle de thèse de la conférence des recteurs des universités suisses (CRUS). Lors de mon séjour à Nancy, en 2016, j’ai été rattachée au laboratoire ATILF, où j’ai été extrêmement bien accueillie. Je garde notamment de très bons souvenirs des réunions de l’équipe de recherche « Discours, langue et cognition » à laquelle j’étais intégrée et des conférences qui étaient régulièrement organisées. J’ai beaucoup appris durant cette année et, surtout, j’ai pu avancer dans mes recherches dans un cadre idéal. Depuis, je suis bien sûr restée en contact non seulement avec le professeur Denis Apothéloz mais également avec les anciens collègues de l’ATILF – je me réjouis d’ailleurs beaucoup de ma participation à deux journées d’études organisées en novembre prochain par le professeur Yvon Keromnes, qui porteront précisément sur les formes verbales surcomposées.

Que faites-vous aujourd’hui ? Où travaillez-vous ?

MB : Aujourd’hui, j’enseigne la linguistique française, en tant que lectrice à l’Université de Zurich et en tant que chargée de cours dans les universités de Fribourg et de Bâle. Je travaille également comme responsable de projets au Forum Helveticum, une association qui s’engage pour les échanges et la cohésion entre les quatre régions linguistiques de la Suisse.

Où pouvons-nous trouver votre ouvrage ?

MB : Mon livre est disponible en libre accès sur le site de la maison d’édition Peter Lang.

 

Contact

Marine Borel | | Page perso

 

Aller plus loin

Consulter le site de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique | Rubrique Grand prix de linguistique et de philologie.

Consulter le résumé de sa thèse « Les formes verbales surcomposées en français », soutenue le 7 juin 2019 à Fribourg.


 

Juin 2025 | © Borel