Entretien avec Dinu Moscal et Guillaume Kurz

Deux scientifiques étrangers en séjour à l’ATILF durant l’été 2023

Dinu Moscal, à gauche et Guillaume Kurz, à droite

 
L’un vient de Roumanie et est un expert averti et excelle dans le substantif.
 
Le second vient de Suisse et est étudiant en format apprentissage et se consacre au verbe.
 
Mais qu’ont-ils donc en commun ? La passion pour la linguistique historique, pour le DÉRom et le 18ᵉ atelier qu’ils ont suivi ensemble les 11 et 12 septembre 2023 à l’ATILF !
 
Consulter le programme du 18ᵉ atelier DÉRom
 
Nous vous invitons à découvrir leurs riches parcours respectifs.
 

Entretien avec Dinu Moscal

« Pouvez-vous vous présenter ? »

Je suis chercheur à l’Académie Roumaine (l’Institut de Philologie Roumaine A. Philippide de Iași / Iassy) et professeur habilité à l’Université Alexandru Ioan Cuza de Iași (École doctorale d’études philologiques).
Ma spécialité est la linguistique générale, théorie des noms propres, lexicologie et lexicographie, histoire de la langue roumaine, toponymie roumaine.

« Quel est votre parcours ? »

En 2000-2004, j’ai mené une licence en langue et littérature roumaine/ langue et littérature française suivi d’un semestre en Allemagne. J’ai enchainé avec un master en 2004 – 2006 inhérent à la linguistique générale. J’ai ensuite continué par un doctorat en philologie en 2006 – 2010, avec des stages à Jena, et à Padoue. Le titre de ma thèse était : La théorie des champs lexicaux, publiée en 2013. J’ai obtenu mon habilitation en philologie en 2020 à l’Université Alexandru Ioan Cuza de Iași/Iassy. Comme je me plais à dire « je ne me prends pas au sérieux mais je fais les choses avec sérieux ! et ce, pour tout dans la vie ! »

« Quelle est votre profession actuellement, vos missions ? »

L’activité de recherche principale à l’Académie Roumaine est l’étude de la toponymie de la Moldavie (la partie occidentale, restée en Roumanie), ce qui suppose principalement établir l’étymologie (étymons roumains, mais aussi slaves, hongrois, allemands et, quelques-unes, d’autres langues anciens), interpréter les variantes en expliquant les évolutions phonétiques (historiques ou comme effet des contacts linguistiques) et indiquer les premières attestations.
La toponymie est une partie de mes préoccupations concernant l’histoire de la langue roumaine : phonétique, sémantique et lexicologie, l’étude philologique des anciens textes en roumain (écrites en cyrillique). Bien connaitre l’histoire d’une langue romane signifie connaitre le contexte, donc l’intérêt pour les langues romanes vient de soi. Mes préoccupations au niveau de la linguistique générale concernent la théorie du nom propre (son identité comme catégorie verbale, le problème de la signification, la traduction), l’influence de la logique sur la grammaire (spécialement à propos du verbe/ prédicat), sémantique et lexicologie générale (le domaine de ma thèse de doctorat).

« Quel est votre parcours universitaire en France ? »

Même si j’ai étudié la langue et la littérature française, le rapport avec la France se caractérise par mes stages de documentation à Paris et à Nancy notamment à l’ATILF.

« Qu’est-ce que votre pays, la Roumanie vous a apporté sur l’évolution de votre carrière et comment est venue l’idée de collaborer avec l’ATILF ? »

En ce qui concerne l’évolution de ma carrière, ce qui peut offrir un pays c’est un bon milieu scientifique. Je suis reconnaissant à mes professeurs de l’Université Alexandru Ioan Cuza de Iași en Roumanie : Constantin Frâncu, Dumitru Irimia et Dragoș Moldovanu. J’ai eu la chance de travailler à côté de Dragoș Moldovanu (Département de toponymie de l’Institut de Philologie Roumaine A. Philippide de Iași) et d’apprendre beaucoup des choses de lui. L’intérêt pour les langues romanes date de mes premières années d’étude1.
L’intérêt pour l’étymologie est en réalité l’intérêt pour la vie humaine, car l’histoire d’un mot (= trouver sa filiation sémantique et la confirmation par l’évolution phonétique) témoigne de l’histoire de la vie sociale et de la perception d’une certaine réalité. Le projet DÉRom2 porté par l’ATILF offre un milieu excellent pour cette recherche dans le domaine des langues romanes, donc il est tout à fait normal que des romanistes de tout le monde s’orientent vers ce projet. C’est la regrettée Mme Maria Iliescu qui m’a parlé de la possibilité, même de la nécessité, de collaborer au DÉRom, une ressource créé et gérée par l’ATILF.

« Quelles sont vos relations avec l’Université de Lorraine et en particulier l’ATILF ? »

Ma relation avec l’Université de Lorraine a commencé en 2019, quand, j’ai présenté aux étudiants d’ EMLex3 les méthodes de travail et la structure lexicographique du Petit Dictionnaire toponymique de la Moldavie, réalisé avec mes collègues de l’Institut de Philologie Roumaine A. Philippide de Iași.
La collaboration au sein de l’équipe de DÉRom est excellente. J’espère que je reviendrai à l’ATILF régulièrement afin d’entretenir ma collaboration de recherche avec Éva Buchi, directrice de recherche CNRS.

 


1 Le titre du mémoire de licence est : Aspect et perspective dans les temps verbaux composés et surcomposés dans les langues romanes
2 DÉRom | Dictionnaire étymologique roman
3 EMLex | Master européen en lexicologie

Entretien avec Guillaume Kurz

« Pouvez-vous vous présenter ? »

Je m’appelle Guillaume Kurz et je suis un jeune étudiant suisse de 23 ans. Depuis très jeune, j’ai une passion pour le langage. Je pense que cela vient du fait que j’ai toujours été entouré de plusieurs langues. Une partie de ma famille vient du côté alémanique du pays, où l’on parle suisse allemand, tandis que l’autre est francophone. Vivant à la frontière italienne, j’ai également été beaucoup en contact avec l’italien. Dans une moindre mesure, j’ai été aussi en contact avec le patois (que les linguistes appellent francoprovençal) et le romanche, la quatrième langue officielle de Suisse. C’est peut-être ce qui m’a poussé à faire d’abord une licence en Sciences du Langage, puis à rejoindre le master en linguistique historique que je viens de terminer. Les langues anciennes m’attirent particulièrement puisqu’elles attisent ma curiosité déjà grande ! C’est donc pour cela que j’ai choisi de poursuivre mes études en effectuant une thèse. Mon souci du détail et ma patience seront sans aucun doute des grands alliés, peut-être davantage que mon côté rêveur…

« Sur quelle thématique travaillez-vous exactement ? »

Mes recherches portent sur la linguistique historique et indo-européenne. Je suis amené à travailler avec des langues anciennes qui étaient parlées de l’Océan Atlantique à l’Himalaya, et du IIᵉ millénaire avant notre ère jusqu’à la fin du Moyen Âge. Que ce soit le latin, le grec ancien, le sanskrit en Inde, le vieil-islandais parlé par les Vikings ou le hittite (Anatolie ancienne), toutes ces langues ont un point commun : elles ont un seul et même ancêtre, appelé proto-indo-européen. Cette langue qui aurait été parlée il y a 6 000 n’est attestée par aucune trace écrite, mais est accessible en la reconstruisant à l’aide des méthodes de la grammaire comparée. Je trouve les systèmes verbaux de ces différentes langues fascinants à comparer ; lors de ma thèse, je me focaliserai sur deux constructions grammaticales qui partagent beaucoup de points communs : la voix moyenne et la réflexivité.
Ce sont deux notions proches en ce qu’elles servent toutes les deux à exprimer une action qui est dirigée vers la personne même qui l’a initiée (comme en français ‘elle se lève’, ‘il s’habille’, ‘tu te méfies’, …). Dans beaucoup de langues indo-européennes anciennes il est possible d’étudier leur évolution commune : dans quelle mesure peuvent-elles coexister ? quand est-ce qu’une construction est employée à la place de l’autre ? et comment l’une de ces deux constructions peut-elle disparaître ?
Cette étude morphosyntaxique et sémantique sera en quelque sorte la poursuite de mon mémoire qui portait sur la même thématique mais dans une seule langue seulement, le gotique (parlé par le peuple germanique des Goths et attestée entre le IVᵉ et VIᵉ siècle).

« Quel est votre parcours universitaire en France ? »

Je suis en France depuis quelques années déjà puisque j’ai mené mon master à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE) à Paris. C’est en effet un des rares endroit où je pouvais me former à la linguistique historique et à l’indo-européanistique, et surtout où je pouvais étudier des langues anciennes méconnues. Je suis donc passé de l’autre côté de la frontière pour suivre ce qui me passionne. En revanche, je ne connaissais pas du tout Nancy.
Ce stage à l’ATILF est donc très enrichissant, scientifiquement bien sûr, mais aussi personnellement : j’ai découvert un nouveau laboratoire et les personnes qui y travaillent m’ont accueilli avec énormément de gentillesse ! J’ai également pu découvrir un nouveau petit coin de France. C’est en partie ce qui m’a motivé à faire ce stage dans ce laboratoire : j’aime arriver dans un tout nouveau lieu, et tout simplement prendre le temps d’apprendre à le connaître, pouvoir rencontrer de nouvelles personnes, bousculer un peu mes habitudes, … J’ai aussi été attiré par le côté très international du Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) : si le centre du projet est à l’ATILF, de nombreux chercheurs coopèrent à travers toute l’Europe pour le faire vivre. Pouvoir rencontrer et travailler avec des personnes venant de différents horizons est, je trouve, une des forces de ce projet et ce qui le rend très attractif à mes yeux.

« Quels sont vos projets de recherche/votre collaboration de recherche et en particulier ceux que vous développez avec L’ATILF ? »

J’ai rejoint l’ATILF pour un peu plus de deux semaines seulement dans le cadre d’un stage. J’ai été amené à travailler pour le Dictionnaire Étymologique Roman, dirigé par Éva Buchi, directrice de recherche CNRS, membre de l’axe de recherche ATILF « Diachronie » qui a encadré mon stage, et Wolfgang Schweickard.

Mon stage consiste en la rédaction d’un des articles de ce dictionnaire : */nask-e-/, le verbe qui signifie ‘naître’. Bien que je sois formé aux méthodes de la linguistique historique, les langues concernées dans ce dictionnaire ne sont pas celles sur lesquelles je travaille habituellement. J’ai donc envisagé ce stage comme un petit défi personnel. J’ai dû prendre mes repères dans ce projet rapidement et me familiariser avec ses codes ; c’est très stimulant intellectuellement, tout à fait ce que j’espérais ! Je pense ainsi déjà en avoir retiré beaucoup sur les plans scientifique et personnel ; c’est donc une expérience très positive à tous points de vue, que j’espère réitérer si j’en ai l’occasion !

Aussi j’ai l’opportunité de suivre le prochain atelier DÉRom (n°18) qui se déroule les 11 et 12 septembre 2023 à l’ATILF organisé par Éva Buchi.