Dominique Macaire

Dominique Macaire : une dynamique des diversités

Interview croisée avec Dominique Macaire, professeure émérite, récipiendaire de l’ouvrage collectif « À l’école du plurilinguisme, Mélanges offerts à Dominique Macaire » et Séverine Behra et Julia Putsche, auteures de la publication de cet ouvrage

Dominique Macaire

« Qui êtes-vous ? »

Dominique Macaire : Je suis professeure émérite en sciences du langage à l’Université de Lorraine rattachée au laboratoire ATILF (Analyse et traitement informatique de la langue française) sous la double tutelle UL/CNRS. Depuis 2010, j’ai été formatrice à l’Inspé de Lorraine (Institut national du professorat et de l’éducation académie de Nancy-Metz), et exercé un mandat de directrice de l’École doctorale SLTC (Société, Langage, Temps et Connaissances) en SHS (Sciences humaines et sociales). Après ma thèse à Paris V, j’ai soutenu en 2008 une HDR (Habilitation à Diriger des Recherches) intitulée De la didactique de l’allemand à une didactique du plurilinguisme – La recherche-action comme aide au changement, avec Daniel Véronique comme garant scientifique. Depuis, j’ai été membre de 11 jurys d’HDR et de 25 jurys de thèse.

Membre de l’ATILF, j’ai connu deux laboratoires auparavant, ICAR (Interactions, Corpus, Apprentissages et Représentation) et le DILTEC (Didactique des langues des textes et des cultures) qui ont façonné ma vision de la recherche. Mes travaux, comme mes productions de ressources, portent sur la didactique de l’appropriation des langues-cultures et sur les écosystèmes formatifs. J’ai contribué à des recherches sur des questions vives en éducation, comme tele-tandem®, les diversités, le plurilinguisme et les enfants, la dynamique identitaire des enseignants.
Tout en me formant à la didactique des langues-cultures en Europe (Munich, Oxford, Paris), j’ai enseigné dix-huit ans l’allemand dans le secondaire. Munie d’un agrément national, j’ai animé des formations d’enseignants dans plus d’une trentaine de pays et assuré des missions d’évaluation et d’accompagnement à l’innovation pour des instances régionales, nationales et internationales (FNRS Belgique, Commission européenne, CNU, HCERES, consulats, universités, etc.).

Dans mon université, j’ai pu déployer plusieurs partenariats internationaux avec l’Asie, et contribuer à créer les Labels Enseignement supérieur, et Compétences pour l’entreprise.

Mon cheminement est celui d’une éternelle curieuse des opportunités qu’offrent les terrains et les acteurs des langues-cultures, quel que soit leur âge, leur environnement culturel, les tensions qui agitent leurs parcours. Je revendique l’engagement collectif en recherche, visible dans ma production scientifique et en ingénierie didactique (47 ACL, 15 DO, 35 OS, 14 OV, etc.). Je répète à l’envie le terme avec qui suppose un effort de compromis et d’acceptation des divergences, pour le distinguer de celui d’ensemble, consensuel, qui gommerait les différences, et joue, selon moi, dans la cour des « bisounours » idéalistes. Je prône une approche dynamique pluridisciplinaire des milieux, dont ma première expérience professionnelle dans l’industrie spatiale en Allemagne est partiellement à l’origine. L’un de mes dadas, c’est la recherche-formation, pour, par et avec les formés, les apprenants, les chercheurs, et d’autres acteurs.

« Qu’évoque pour vous la thématique du plurilinguisme dans votre quotidien ? »

Le plurilinguisme est une réalité sociale et scolaire, un quotidien, pas un objet hors sol. Il est intimement lié à la notion de diversité(s), du reste, davantage thématisée dans le monde anglo-saxon que francophone. Comme son corollaire l’interculturalité, le plurilinguisme est une dynamique, une circulation de mots et de gestes des acteurs du monde et de l’École, inscrits dans des (inter)relations de pouvoir, de savoir mais aussi d’émotions et de tensions dans l’enseignement des langues-cultures. Ainsi vu, le plurilinguisme peut décentrer de l’ethnocentrisme. Avec les phénomènes de globalisation, les mobilités et l’arrivée de questions comme l’IA, la notion même de plurilinguisme demande à être révisée, non dans une vision cumulative de langues à apprendre, avec leur lot de priorités, mais dans une vision compréhensive et articulée, des (inter)relations qui naissent entre des langues-cultures, quel que soit leur statut dans une institution scolaire, une famille, un état, ou leur niveau de maîtrise par un individu. Étudier les interstices de cette dynamique, échanger avec des chercheurs d’autres disciplines est alors indispensable pour envisager de nouvelles perspectives de recherche en didactique des langues-cultures. Il faudrait plus souvent mettre des paires de lunettes différentes pour regarder le monde où l’on vit.

Dans mon quotidien, le plurilinguisme est, de fait, inscrit naturellement de par les pays où vivent mes jumeaux et nos échanges en diverses langues, parfois combinées au fil de leurs déplacements. Il existe par les langues régionales de mon enfance, par les expériences de diversités multiples aux plans géographique, politique, artistique, associatif, alimentaire, par mes propres mobilités, etc.

« Quel autre livre a marqué votre vie professionnelle, hormis ce livre Hommage ? »

Ce livre de collègues et ami·es artistes est avant tout une surprise. Je dis souvent que je ne suis pas faite pour écrire des livres mais pour les lire. J’ai transporté cet ouvrage-mémoire en divers lieux chez moi, pour profiter d’espaces et de moments de lecture non encore expérimentés, et je me suis délectée de souvenirs, traversés par d’autres regards que les miens, et qui me surprennent par leur originalité et leur acuité. Cette lecture rejoint ma conception d’une temporalité et d’une spatialité intimement imbriquées.

Je suis émue de ce réseau mémoriel tissé grâce à Séverine Behra et Julia Putsche, les coordinatrices de À l’école du plurilinguisme-Mélanges offerts à Dominique Macaire. Un écrit est une aventure.

Il y a tant d’ouvrages scientifiques, de romans ou d’auteurs qui ont façonné ma pensée et mon histoire de vie… Impossible d’en évoquer un·e seul·e, tant mon environnement est éclectique, à l’image de ma vie. Un livre est une pièce de puzzle, d’une bibliothèque humaine. Certains m’ont bouleversée en restituant ce que je pensais ou sentais tout bas. Un écrit peut être une révolution.

En y songeant, il y a des auteur.es que j’ai eu le bonheur de côtoyer, avec lesquel.les s’est instaurée une disputatio au sens de débat et d’échange constructif : le linguiste Eric Hawkins à Leicester, avec lequel j’ai partagé le language awareness, bien différent des approches dites plurielles, chantées de nos jours ; le spécialiste des politiques linguistiques Pierre Martinez, présent dans ces Mélanges, la cognitiviste et didacticienne Rita Carol, dont j’ai été la garante d’HDR à l’ATILF ; le sociologue Jean-Claude Kaufmann, que j’ai fini par inviter en Lorraine pour l’entendre, à force de prêter ses ouvrages, et de ne pas les revoir; le psycholinguiste Daniel Gaonac’h avec qui nous avons co-piloté la Conférence de Consensus sur les langues-cultures du Cnesco en 2019.

Je cite surtout des hommes, mes « soeurcières » à moi sont plus secrètes. Il y a aussi celles et ceux que j’ai lus après les avoir écoutés, toutes celles et ceux que j’ai découverts grâce au réseau de l’Acedle (Association des Chercheurs et Enseignants en Didactique des langues étrangères) présidée durant plus de 15 ans. Un écrit est une relation avec leurs auteur·es.

S’y ajoutent quelques romanciers Goncourt, approchés lors de la mise en place du Premier Choix Goncourt Chine. Il y a eu des livres-événements aussi, comme Petite brocante intime de huit co-auteurs, dont le couple Delerm. Lors d’un dîner, ils évoquent des objets-souvenirs de leur passé, tel le balai Océdar, le caniche qui se colore en fonction de la météo, ou les tongs avec une marguerite dessus qui confèrent à qui les porte une aura particulière au lycée. Ou encore le roman Un tout petit monde de David Lodge, satire grinçante des chercheurs en colloques, qui m’a arraché des rires durant la rédaction de ma thèse. Un écrit, ce sont des émotions offertes, reçues, transformées.

Je pourrais citer peintres, photographes, musiciens, cinéastes, chorégraphes et artistes qui m’ont inspirée. Je pourrais évoquer les doctorants étrangers qui ont co-écrit avec moi dans des approches plus sensibles, sous formes imagées. Les émotions artistiques et scientifiques d’une chercheure ne se limitent ni à son intellect, ni aux écrits.

La parole à Séverine Behra & Julia Putsche

« Qui êtes-vous ? »

Séverine Behra

Séverine Behra

Séverine Behra : Je suis maîtresse de conférences en sciences du langage à l’Inspé de Lorraine (Institut national du professorat et de l’éducation académie de Nancy-Metz), Université de Lorraine, site de Maxéville et membre du laboratoire ATILF (Analyse et traitement informatique de la langue française).

Mes recherches portent principalement sur la didactique des langues-cultures et le plurilinguisme chez les enfants et jeunes apprenants et en formation de (futurs) enseignants.

Julia Putsche : Je suis maîtresse de conférences HDR en sciences du langage à l’Université de Strasbourg et membre du laboratoire LiLPa (Linguistique, langues, parole). Mes recherches portent principalement sur la didactique des langues et du français langue étrangère et sur les aspects socio- et psycho-linguistiques du bilinguisme individuel, familial et scolaire.

L’évidence de notre collaboration pour la préparation de cet ouvrage tient à nos rencontres et nos coopérations scientifiques avec Dominique Macaire que nous souhaitions remercier, avec tou·te·s ces auteur·e·s, pour tout ce qu’elle a su partager avec chacun·e de nous.

« Pourquoi un livre sur le plurilinguisme et à qui s’adresse-t-il ? Pourquoi le publier maintenant ? »

Julia Putsche

Julia Putsche

Cette publication souhaite mettre à l’honneur les travaux de chercheure et de formatrice qui ont forgé la carrière riche et féconde de Dominique Macaire au moment de son départ à la retraite. Elle a soutenu de nombreux programmes et projets pour ses institutions de rattachement tout au long de sa carrière, veillant à leur rayonnement, en particulier en Asie. Ses travaux accompagnent et questionnent enseignants et chercheurs dans leurs missions quotidiennes, et nous lui en sommes toutes et tous reconnaissant·e·s.

Cet ouvrage témoigne certes de son engagement pour la recherche et la formation, mais aussi de son accompagnement de (jeunes) chercheur·e·s, ainsi que de ses activités internationales, etc. L’ensemble des contributions, scientifiques et personnelles, rassemblées dans cet ouvrage ne retracent pas un panorama complet des questions scientifiques que Dominique a contribué à développer tout au long de sa carrière, mais il offre l’occasion d’aborder des notions qui lui sont chères, dans les domaines de la didactique des langues-cultures et de la formation. Les semis en particulier (partie 1), profitent du terreau de ses recherches et l’enrichissent dans la quête qui est la sienne d’une modélisation cinétique, voire visionnaire, pour l’enseignement des langues-cultures et la formation des (futur.e.s) enseignant.e.s.

« Comment a été conçu cet ouvrage ? (démarche, auteur·e·s, …) »

Nous voulions offrir à Dominique cet ouvrage dans un délai bien précis, avec le soutien de notre éditeur. Le format se devait d’être accessible au plus grand nombre. Nous avons pris contact auprès de collègues et amis de Dominique, en France et dans le monde entier, qui ont partagé avec elle des projets de recherche, des réflexions et des collaborations scientifiques et/ou amicales. Nous ne leur avons pas proposé d’objet(s) pour définir cet ouvrage mais seulement un sujet, en la personne de Dominique, que l’on souhaitait honorer. Nous avons ainsi sollicité les auteur.e.s pour 2 types de contributions : soit une contribution scientifique, soit une contribution personnelle, liée à un projet, un souvenir, une rencontre, etc. Les échanges avec tou·te·s les auteur·e·s ont été très dynamiques, ainsi qu’avec notre éditeur. Nous sommes très fières de ces semis et bouquets rassemblés dans ce bel ouvrage que nous avons pu offrir à Dominique, avec chacune et chacun des contributeurs.

« Quelle place l’ATILF, les universités de Lorraine & de Strasbourg jouent-t-elles dans cet ouvrage au monde de … selon vous ? »

Julia Putsche et moi qui avons eu l’idée de cet ouvrage, souhaitions qu’il soit publié par les Editions de l’Université de Lorraine. Dominique Macaire a passé douze années de sa carrière de professeure d’université à l’Université de Lorraine, recrutée sur un poste de professeure des universités à l’Inspé de Lorraine (site de Maxéville), et rattachée pour l’aspect recherche au laboratoire ATILF. Elle a toujours veillé au rayonnement de ses institutions de rattachement, dans toutes ses productions et leur diffusion. Nous avons souhaité symboliquement mettre son parcours en lumière avec cette publication grâce notre éditeur local, ce que le laboratoire ATILF a également bien compris et soutenu lors de la présentation de notre projet et nous les en remercions vivement.

Nous remercions également les Edul (Éditions de l’Université de Lorraine) pour leur écoute et leur accompagnement tout au long du processus de préparation de cet ouvrage.

Nous remercions enfin toutes les personnes qui ont pu accorder un peu de leur temps au recensement des publications de Dominique. Et nous remercions plus particulièrement Cynthia Burny-Monchanin pour la relecture formelle des parties de cet ouvrage, dans le cadre d’un contrat financé par l’Université de Strasbourg et le LiLPa.

« Que trouvera le lectorat dans ces écrits ? »

Le lectorat trouvera dans cet ouvrage des chapitres scientifiques et des récits de moments de vie que les uns et les autres ont partagé avec Dominique. Ils dessinent son parcours complété par une bibliographie impressionnante de ses productions d’auteure de manuels et de ses productions scientifiques d’enseignante-chercheuse. Autant de références qui continuent d’éclairer bien des questions didactiques contemporaines !

 

Contacts

Séverine Behra |
Dominique Macaire | | Page perso
Julia Putsche | | Page perso

 

Parution

À l’école du plurilinguisme : Mélanges offerts à Dominique Macaire

Auteures : Séverine Behra (ATILF / Université de Lorraine – CNRS), Julia Putsche (Lilpa / Université de Strasbourg)

Date de parution : 14 novembre 2023

Édition : Edul | Commander

Description : 1 volume | 198 pages | Broché | 24 x 16 cm

ISBN : 2384510304

 

Aller plus loin

Visite de doctorants de l’EduHK, une université pionnière pour la recherche en éducation en Asie.
Nomination de Dominique Macaire au grade de « Chevalier » durant la promotion 2017 des Palmes académiques.
Réseau Thématique « Recherche autour des questions d’éducation » RTP Education CNRS.
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Mai 2024 | © service communication ATILF